Un cabaret de joie et d’amertume

Entretien avec Radhouane El Meddeb

C’est la musique live, de plus en plus présente dans ses créations depuis 2019, qui a donné l’envie à Radhouane El Meddeb de se lancer dans l’élaboration du Cabaret de la rose blanche. « L’accompagnement musical donne au mouvement une autre sensibilité, précise-t-il. J’ai du mal aujourd’hui à m’en passer. Les sons et mélodies nous meuvent. Les corps des musiciens, des chanteurs, sont également essentiels, car c’est le corps du musicien qui “fait” la musique, grâce à une voix, un instrument. C’est tellement chaud et tremblant que je ne peux plus concevoir de la danse aujourd’hui sans les corps des musiciens avec nous sur scène. Cela provoque un état d’enchantement et de ravissement qui m’est de plus en plus essentiel. C’est à la fois plus clair et plus suspendu. »

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Le paysage – notre monde invisible

Entretien avec Krystian Lupa réalisé par écrit à l’été 2023, traduit par Agnieszka Zgieb

CHLOE LARMET et CHRISTOPHE TRIAU  La notion de paysage est au cœur du jeu d’acteur dans votre travail : le « paysage intérieur » de l’acteur, vous le définissez comme une imagination sous forme corporelle, une vision liée au corps en rêve pouvant accueillir la réalité du personnage. Pourquoi ce terme de « paysage » plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui travaille dans ce mot ? De quels rêves est-il chargé pour vous ?

KRYSTIAN LUPA — Le terme de paysage a émergé dans notre langage d’une façon spontanée, au moment de la création de l’utopie avec l’acteur. Cela aurait pu être un autre mot, mais « paysage » nous a semblé le plus étendu. Il y a, dans sa signification originelle, une dimension subjective. Il n’est pas de paysage sans le regard humain sur le monde environnant, sans le lieu d’où part ce regard. Le monde extérieur devient paysage, pour celui qui vit l’instant réel de sa vie. L’acteur crée cet instant-là et le rend incomparablement plus intérieur, car il ne dispose pas souvent du paysage extérieur du moment qu’il est en train de vivre. Il doit donc le créer en imagination, faire surgir des images, en se disant : « Je vis un instant du monde dans lequel je suis, ici et maintenant ». 

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Je danse donc j’en doute : récit d’une coopération entre la danse de rue et la pop philosophie pour la création de CRACKz de Bruno Beltrão 

À la fin de l’année 2011, il y a presque dix ans, le chorégraphe Bruno Beltrão, l’un des fondateurs de la compagnie Grupo de Dança de Rua de Niterói, m’a invité à faire partie de l’équipe de création d’un spectacle, encore sans titre à l’époque, qui a abouti à CRACKz – Dança morta (CRACKz – Danse morte) dont la première mondiale eut lieu en mai 2013 au Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles). Ma participation à ce processus de création consistait à être présent toutes les semaines avec les membres de la compagnie pour mettre en parallèle la danse et la philosophie et concentrer les débats sur des questions liées à l’acte créateur, au binôme original-copie et à la relation entre art et technologie. J’avais déjà collaboré de façon ponctuelle avec Bruno et ses danseurs et j’admirais beaucoup son travail. La proposition de Bruno était cette fois-ci plus radicale et j’ai accepté volontiers de relever le défi. Ce texte fait le récit de cette expérience qui a duré environ 18 mois et qui a mis en coopération la danse urbaine de Bruno Beltrão et mon propre projet de recherche autour de la pop philosophie, avec la rue comme paradigme commun et comme horizon d’inspiration.  

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Un Stabat Mater au féminin pluriel 

Du 12 au 28 octobre, le Théâtre des Bouffes du Nord présente une création collective des ensembles La Phenomena et La Tempête mise en scène par Maëlle Dequiedt d’après une œuvre de Domenico Scarlatti, Stabat Mater (composée sans doute entre 1714 et 1719), arrangée par Simon-Pierre Bestion. La dramaturgie, signée par Simon Hatab, convie dans ce spectacle d’1h30, outre le poème latin de Jacopone da Todi, sublime méditation sur la vierge au pied de la croix, moult fois mis en musique depuis le moyen-âge, des fragments de La Vie matérielle de Marguerite Duras (1987), et de Dysphoria Mundi de Paul B. Preciado (2022). Dix instrumentistes chanteurs, quatre comédiens. Des moyens scénographiques affichant une certaine sobriété (un dispositif en gradin, où les musiciens apparaissent d’abord comme des figures sur un retable, un gros matelas de gymnastique, une gazinière, une grande bâche noire, quelques tabourets et accessoires, une boîte, une bassine, des patates…). Des instruments de musique (et des styles musicaux) de différentes époques – piano, accordéon, basse électrique, flûte traversière, clarinette, bugle et tuba, violoncelle, percussions, scie musicale. Des costumes qui connotent plusieurs époques, de la stylisation picturale au nouveau réalisme, du carnaval de carton aux vêtements de notre temps. 

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Quartett mis en scène par Jacques Vincey : de feintes passions

C’est l’une des grandes créations de l’automne. Jacques Vincey s’empare du Quartett de Heiner Müller avec deux comédiens prodigieux : Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey. Une splendeur subversive et pleine de féminin.  

La Merteuil est d’abord une voix. Avant d’apparaître, par transparence derrière un immense rideau gris perlé qui dissimule la scène. « Avez-vous un cœur ? » demande-t-elle à Valmont dans un monologue incisif et cruel. Le rideau se lève et ils surgissent. Elle (si intense et troublante, Hélène Alexandridis) d’abord. Lui ensuite, Stanislas Nordey, dont le jeu, tout en retenue et subtilité montre que cet acteur de génie, bien dirigé, est décidément capable de tout jouer.

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« Blind Runner » d’Amir Rezâ Koohestâni

« Regarder dans les yeux de celui qui regarde son monde s’effondrer » : sur Ivanov d’Amir Rezâ Koohestâni, Téhéran, octobre 2011. 

Mohammadamin Zamani

Nous vous invitons à découvrir Blind Runner au théâtre de la Bastille, avec le Festival d’Automne à Paris, et à lire ou relire deux articles consacrés à Amir Rezâ Koohestâni, dans un N° spécial consacré à la scène persane, vue d’Europe et vue d’Iran.

BLIND RUNNER / Amir Koohestani, photo de Benjamin Krieg
BLIND RUNNER / Amir Koohestani, photo de Benjamin Krieg

Regards croisés proposés par Mohammadamin Zamani (docteur en Arts du spectacle à l’Université Libre de Belgique, ULB) et par Joëlle Chambon (maître de conférences en Études théâtrales à l’Université Montpellier 3), publiés dans Lettres persanes et scènes d’Iran, N° 132, d’Alternatives théâtrales, 2017.

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PHILIPPE QUESNE, LE SCÉNOGRAPHE-JARDINIER[1]

Venez découvrir Le Jardin des délices de Philippe Quesne au Festival d’Avignon du 7 au 18 juillet 2023 – Carrière de Boulbon

Vous pouvez lire cet entretien dans le N° 149 d’Alternatives théâtrales intitulé « Théâtre/Paysage », piloté par Christophe Triau et Chloé Larmet.

A partir d’un entretien en date du 12 avril 2023 (version complète ci-dessous)

Depuis la création du Vivarium studio et de la première pièce de la compagnie en 2003, La Démangeaison des ailes, le metteur en scène et scénographe Philippe Quesne poursuit sa quête d’ailleurs, invente des mondes parallèles si possible meilleurs. Privilégiant l’écriture de plateau et le collage d’idées, les cadavres exquis textuels et visuels, il prélève des parts du réel en arrosant ses paradis artificiels, agence des échantillons de paysages naturels, urbains ou extraordinaires ; il recrée des jardins utopiques sans souci de réalisme, ne s’interdisant aucun langage scénique ni plastique. 

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L’univers du Tof Théâtre par le prisme du spectacle Échappée vieille

Nous vous invitons à découvrir Échappée vieille du TOF Théâtre (Belgique) en tournée française Théâtre de Laval,Festival Ideklic à Moirans en Montagne (39), Chalon dans la rue OFF…

Et à retrouver cet article dans le N° 148 d’Alternatives théâtrales, consacré aux arts du cirque, de la marionnette et à la création dans l’espace public.

En 1987, Alain Moreau fonde le Tof Théâtre. Le metteur en scène, constructeur, auteur, marionnettiste a monté près de trente spectacles, avec une patte qui rend ses œuvres immédiatement identifiables, malgré la diversité des formats adoptés. Le spectacle Échappée vieille, création de 2021, illustre plusieurs aspects de son travail.

Ce spectacle de marionnettes met en scène l’histoire de trois septuagénaires qui décident de goûter à la liberté, plutôt que de rester dans leur pension de retraite sous la surveillance d’une infirmière particulièrement autoritaire. Une forme de course poursuite du troisième âge s’engage, sur fond de sea, sex and sun décalé.

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WEBER À VIF à la Scala d’Avignon(1)

« Homme libre, toujours tu chériras la mer » 

Baudelaire

Les textes de théâtre, qu’ils soient classiques ou contemporains sont un carcan pour l’acteur. Lorsqu’il participe à une belle aventure collective où metteur en scène, dramaturge, créateur de son, de lumière et ses camarades de plateau joignent leur art et leur intelligence de la scène pour faire vivre la représentation, le public, comme lui, en sort grandi et heureux.

Jacques Weber a, au cours de sa longue carrière, pratiqué son métier dans cette discipline des textes et son inscription dans les cadres des œuvres tirées au cordeau où la rigueur et la force de l’interprétation se déploient dans un travail collégial.

Est-ce pour cette raison que le désir lui est venu de s’échapper de la gangue d’une pièce « corsetée « pour se lancer dans une aventure de spectacle « libre » où tout ne serait pas construit d’avance ?

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Réflexions sur le travail d’Agnès Limbos/Cie Gare centrale

  • A propos de son écriture, par Karolina Svobodova
  • Autour de Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement, par Evelyne Lecucq

Vous les retrouverez dans le numéro 148 à paraître fin février 2023 : ARTS VIVANTS : marionnette, cirque, création dans l’espace public.

Vous pouvez voir Il n’y a rien dans ma vie…, au Théâtre Mouffetard du 10 au 19 janvier 2023.

Site compagnie : https://www.garecentrale.be/

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