L’arrivée d’une maison d’édition de textes de théâtre en Belgique francophone est trop rare pour ne pas être saluée et encouragée ! C’est au cœur de la pandémie, en 2020, qu’Aurélie Vauthrin-Ledent a fait le pari un peu fou de soutenir la création théâtrale par l’édition en lançant, dans une démarche coopérative, une collection de petits livres de théâtre au format A5 et au prix de 10 euros (!) sous le joli nom de « les oiseaux de nuit ».
Continuer la lecture « Delphine Peraya, une nouvelle auteure de théâtre »Catégorie : Comptes-rendus
Wajdi Mouawad et sa Mère Courage
Un grand spectacle autobiographique au Théâtre de la Colline — Paris
« Comme Dieu ne pouvait pas tout faire, Il a inventé les mères », dit un proverbe du Proche-Orient. Dans bon nombre de cultures et des situations extrêmes, elles agissent comme Son substitut et, vouées à cette tâche extrême, les mères s’épuisent en efforts, s’érigent en gardiennes de leurs proches, veillent sur eux et s’assument meurtries jusqu’au sacrifice de soi. Elles s’érigent en Dieu, un Dieu laïque, familial et souvent débordé par les épreuves de la vie. Comme Mère Courage de Brecht ou une autre, de la même famille, cette Mère de Wajdi Mouawad. Les deux se trouvent confrontées à la guerre… comment être mère pendant la guerre ? À la même question, réponses similaires. Mères qui se protègent des émotions et livrent un combat sans merci sur fond d’exaspération excessive qui ne peut conduire qu’à la défaite finale, défaite crainte et pourtant inévitable. Mères Courage… Wajdi renonce et à l’article défini de « la mère » et à l’épithète « courage » pour proposer le titre générique de… Mère.
Continuer la lecture « Wajdi Mouawad et sa Mère Courage »Loco
d’après le journal d’un fou de Gogol.
Un spectacle de Natacha Belova et Teresita Iacobelli.
Au théâtre avoisinent le grand et le petit.
En découvrant la remarquable adaptation que Natacha Belova et Teresita Iacobelli ont faite du journal d’un fou de Gogol (« loco » signifie fou en espagnol) (1), je me suis rappelé l’impressionnant Revizor (l’inspecteur général) du même Gogol mis en scène par Mathias Langhoff au tournant du siècle que j’avais invité au théâtre National dans le cadre de Bruxelles 2000, ville européenne de la culture.
Un bondissant Martial di Fonzo Bo (tiens, un Argentin, pas loin du Chili de Teresita…), mélange de Buster Keaton et de Charlie Chaplin évoluait dans un immense décor en forme de tour de Babel. Langhoff prenait appui sur la fable ( un blanc-bec bien fringué se fait passer pour l’envoyé du gouvernement et en profite pour s’en mettre plein les poches) pour déployer un comique dur et blessant qui faisait mouche ; un théâtre de la rage.
Avec Loco, c’est un tout autre Gogol qui est mis à jour : celui de la tendresse et de la fragilité humaine.
Continuer la lecture « Loco »Gravité, par la compagnie Preljocaj au Festival Vaison-Danses (édition 2021)
Depuis 25 ans, chaque été, le théâtre antique de Vaison-la-Romaine accueille une programmation de danse. Empêché de se tenir l’an dernier, il a, cette année, fêté avec bonheur la reprise de ces spectacles en plein air, placés sous le signe de Maurice Béjart dont on voit les portraits photographiés par Marcel Ismand aux quatre coins de la ville.
Du 10 au 26 juillet des spectacles internationaux de haut vol voulaient marquer cette édition : de la Folia de Mourad Merzouki mêlant danse hip hop et musique classique aux jongleries contemporaines de Sean Gandini et Kati Ylä-Hokkala en passant par les jeunes danseurs del’Ecole–Atelier Rudra Béjart de Lausanne, le fandango et le flamenco revisités de David Coria et David Lagos, le mythe de Don Juan ré-imaginé par le chorégraphe suédois Johan Inger et la compagnie italienne Aterbaletto. Plusieurs de ces spectacles ont dû être reportés ou remplacés, mais le festival a tenu bon !
Continuer la lecture « Gravité, par la compagnie Preljocaj au Festival Vaison-Danses (édition 2021) »Vader pour les 20 ans de Peeping Tom
Dirigée par l’argentine Gabriela Carizo et le français Frank Chartier, la compagnie de théâtre belge Peeping Tom fête ses 20 ans cette année par une série de reprises (1) heureusement permises par la réouverture des salles de spectacles.

Le KVS a eu la bonne idée de proposer Vader,– créé en 2014 – (2).
Spectacle emblématique de la compagnie, il plonge ses racines dans l’univers du cabaret – divertissement où se mêlent chansons populaires, danse , acrobatie, humour déjanté, gags, adresses au public – qui, quand il est réussi, peut aussi aborder les thèmes et les questions qui sont au coeur de la vie en société (ici la fin de vie dans une maison de repos).
Continuer la lecture « Vader pour les 20 ans de Peeping Tom »Quand tu es revenu de Geneviève Damas au théâtre des Martyrs, Bruxelles.
« …les soirs de vague à l’âme et de mélancolie n’a-tu jamais en rêve au ciel d’un autre lit compté de nouvelles étoiles… »
Pénélope, Georges Brassens
Geneviève Damas est une artiste protéiforme : actrice, metteure en scène, auteure, nouvelliste, romancière … elle n’hésite pas à prolonger sa passion des mots par des ateliers d’écriture ou en se faisant chroniqueuse occasionnelle pour la presse écrite. On dirait qu’elle a mille vies qui s’entrelacent les unes dans les autres.
Cette propension à mordre dans la réalité et la vie à pleine dents, on la retrouve dans le texte jubilatoire créé au théâtre des Martyrs ce 9 juin. Il vient à point nommé pour nous redonner le goût du théâtre après ces mois de grand manque où nous aspirions à retrouver le spectacle vivant.
« Tu ne m’as pas reconnu » appartient par certains aspects à l’autofiction qui a imprégné la littérature de ces dernières années et tisse avec brio l’histoire de cinq couples puisés dans l’histoire, la mythologie, la généalogie familiale de l’auteure et bien sûr son imagination. Deux figures tutélaires pour orienter le récit : celle de Pénélope (la femme qui reste) et celle du grand-père de l’auteure (l’homme qui part).

Captation et spectacle vivant : le regard de Clément Cogitore
Si vous aimez Les Indes Galantes de Rameau, mais aussi les danses urbaines et plus précisément le Krump, on vous invite à découvrir un magnifique film de Clément Cogitore, nommé aux César 2019 dans la catégorie meilleur court-métrage, et à lire ou relire cet entretien avec le réalisateur paru dans le N° 141, Images en scène, Cinéma, art vidéo, numérique/danse, théâtre, opéra, marionnette, juillet 2020.
Sylvie Martin-Lahmani
Entretien avec Clément Cogitore par Marjorie Bertin
En 2017, le cinéaste Clément Cogitore réalisait un court-métrage pour 3e Scène, la plate-forme numérique de l’Opéra de Paris. Des danseurs de krump s’y livraient à une joute sur l’exaltante Danse du grand calumet de la paix des Indes galantes de Jean-Philippe Rameau. Un court-métrage (projeté au CENTQUATRE-PARIS en 2019) qui a permis à Clément Cogitore d’être invité à créer l’intégralité des Indes galantes dans sa propre mise en scène à l’Opéra Bastille en 2019.
Continuer la lecture « Captation et spectacle vivant : le regard de Clément Cogitore »Le Raoul Collectif : une trilogie
Au moment d’écrire ces lignes, le Covid vient de porter un second coup d’arrêt à la scène belge. Toutefois, Le Raoul Collectif, malgré une annulation complète en avril dernier, puis partielle en octobre, a pu présenter sa troisième création au Théâtre National : Une cérémonie. Un spectacle d’autant plus attendu qu’il portait la promesse d’un partage, de réflexions et de plaisirs.
Dès les premières minutes, on retrouve la marque de fabrique du collectif. Une bande de potes – qui comprend cette fois une femme, Anne-Marie Loop – déboule sur la scène comme sur leur terrain de jeu, se rassemble, chante, frappe sur un piano, explore l’espace, se cherche, gueule, erre, s’assied, se tait puis… ne sait plus trop quoi dire. Alors ces garçons endimanchés cherchent l’inspiration dans l’alcool, portent des toasts à leurs idéaux, prononcent des aphorismes énigmatiques, espérant provoquer parmi nous, parmi eux, une réflexion qui serait le début d’une mise en mouvement.
Continuer la lecture « Le Raoul Collectif : une trilogie »Quartett en tête-à-tête
L’opéra de Luca Francesconi d’après « Quartett » d’Heiner Müller, a été créé en anglais à Milan en 2011, l’œuvre est reprise cette année pour la première fois en allemand au Staatsoper de Berlin, dans une mise en scène de Barbara Wysocka.
Librement adapté des Liaisons dangereuses, Quartett est d’abord un duel entre Merteuil et Valmont, dans une langue aussi précieuse que brutale, où domine la prédation sexuelle non dissimulée. La rhétorique libertine y est pour ainsi dire évidée, et il s’agit souvent moins d’un dialogue que de traits d’un désir narcissique qui s’épuise.
Mais lorsque Valmont « devient » Merteuil, ou lui emprunte plus exactement son corps – et réciproquement – leur métamorphose n’est pas seulement un épisode de théâtre dans le théâtre, ni seulement une revanche sur la domination masculine. Continuant de désirer Merteuil et ses autres proies (Volanges et Tourvel), tout en les jouant lui-même, Valmont en Merteuil ne pourra jamais atteindre que son propre corps, ce qui est la suite logique d’un désir uniquement orienté vers son plaisir, où seule la chair parle à la chair.
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Spectacle d’Amos Gitaï
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
J’avais rencontré Amos Gitai sur un plateau de télévision et sa pensée aussi concrète que théorique m’avait conquis, voire même marqué ! Au nom de ce souvenir lointain je décidais d’aller voir son spectacle prévu en juin, déplacé et, finalement, programmé en ouverture de saison au Théâtre de la Ville.
Exils intérieurs… Moi-même exilé, ce questionnement me motive et me taraude ! Dans la salle des Abbesses où l’assistance formait une assemblée n’ayant comme signe distinctif que les masques Emmanuel Demarcy-Mota a ouvert la soirée et les mots prononcés sur un fond de fatigue évident ont résonné plus particulièrement dans le spectateur que j’étais. Grâce à ses mots, le sens de ma présence m’est apparu avec une gravité inhabituel. Elle se constituait en acte responsable, acte de résistance qui répondait à la responsabilité du fait de jouer. Entre la salle et la scène s’installait alors un effet de miroir. Cette réciprocité des images fondait notre « être ensemble » et une même gravité nous réunissait. Nous étions nécessaires les uns aux autres plus qu’à l’accoutumée !
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