WEBER À VIF à la Scala d’Avignon(1)

« Homme libre, toujours tu chériras la mer » 

Baudelaire

Les textes de théâtre, qu’ils soient classiques ou contemporains sont un carcan pour l’acteur. Lorsqu’il participe à une belle aventure collective où metteur en scène, dramaturge, créateur de son, de lumière et ses camarades de plateau joignent leur art et leur intelligence de la scène pour faire vivre la représentation, le public, comme lui, en sort grandi et heureux.

Jacques Weber a, au cours de sa longue carrière, pratiqué son métier dans cette discipline des textes et son inscription dans les cadres des œuvres tirées au cordeau où la rigueur et la force de l’interprétation se déploient dans un travail collégial.

Est-ce pour cette raison que le désir lui est venu de s’échapper de la gangue d’une pièce « corsetée « pour se lancer dans une aventure de spectacle « libre » où tout ne serait pas construit d’avance ?

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Réflexions sur le travail d’Agnès Limbos/Cie Gare centrale

  • A propos de son écriture, par Karolina Svobodova
  • Autour de Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement, par Evelyne Lecucq

Vous les retrouverez dans le numéro 148 à paraître fin février 2023 : ARTS VIVANTS : marionnette, cirque, création dans l’espace public.

Vous pouvez voir Il n’y a rien dans ma vie…, au Théâtre Mouffetard du 10 au 19 janvier 2023.

Site compagnie : https://www.garecentrale.be/

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Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire par Jacques Martial au Théâtre de l’Épée de Bois

Créé en 2002 à Avignon par Jacques Martial, la mise en scène intégrale du Cahier d’un retour au pays natal est une magnifique incarnation de ce poème explosif et toujours bouleversant. Écrit d’abord en 1939, le poème a été largement retravaillé par Césaire jusqu’en 1947, comme s’il fallait nécessairement prendre en compte l’épreuve de la guerre afin de poursuivre le travail de sape et le dynamitage de la culture coloniale qui s’est vue confirmée et abimée à la fois dans le conflit mondial. 

Cette création de Jacques Martial est plus précieuse que jamais de nos jours – alors que les luttes anti-racistes sont parfois désignées comme “identitaires” ou “communautaristes”. Face à ces caricatures, la voix du poème déjoue par avance les assignations identitaires et se définit comme celle d’un « homme-juif / un homme-cafre / un homme-hindou de Calcutta / un homme de Harlem-qui-ne-vote-pas ». On ne cessera donc pas de redécouvrir ce texte fondateur de la « négritude », idée que Césaire prenait déjà soin de ne pas identifier à une race, car elle n’est pas « un plasma, ou un soma, mais mesurée au compas de la souffrance », ajoutant aussi que « la vieille négritude progressivement se cadavérise », comme si la véritable négritude restait toujours à inventer dans la langue, à l’inverse du discours victimaire qu’on lui impute parfois.

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Macadam Circus  dans le jardin du musée Angladon d’Avignon

Ce qui nous accroche, nous émeut dans un roman, un film, un spectacle c’est  le plus souvent lorsqu’il y a rencontre entre l’Histoire, la vie en société et les histoires des individus, leur vie intérieure.

Et que soit proposée une forme, inventée une expression qui relie ces deux mondes. Cette démarche, cet enjeu est au coeur du spectacle écrit par Thomas Depryck, mis en scène par Antoine Laubin et interprété par Axel Cornil. 

J’y ai retrouvé un ton, une ambiance qui était présente dans « les langues paternelles » créé par la compagnie De facto il y a plus de 10 ans.  Ce mélange d’humour et de tendresse, d’engagement et d’ironie,  de conscience et de distance.

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Marilyn au pays des merveilles

Le 4 août 2022, ce sera la commémoration des 60 ans du décès de l’actrice Marilyn Monroe. À cette occasion, nous nous sommes intéressés dans cet article à la manière dont son personnage a pu servir pour présenter sur la scène contemporaine iranienne une vision conforme à l’idéologie dominante. Il porte sur un spectacle intitulé Marlon Brando et présenté en 2019 par l’auteur et metteur en scène iranien, surtout connu pour ses rôles sur le petit écran, dénommé Mehran Ranjbar (né en 1982 à Khorramabad, capitale de la province du Lorestan) au Sepand Hall à Téhéran (repris quelque mois plus tard au Iranshahr Théâtre) où Marilyn Monroe est un des personnages principaux. Le spectacle paraît particulièrement pertinent pour réfléchir à la question de la représentation des femmes sur la scène en Iran, où elles sont traitées trop souvent comme des citoyennes de seconde classe et leurs droits bafoués aussi bien dans les domaines public (notamment celui du travail) que privé (comme celui du droit de la famille et la garde des enfants), et sur le rapport étroit et complexe qu’entretient une part considérable de la production scénique avec la doctrine imposée par la classe dirigeante.

Alternatives théâtrales #132 Lettres persanes et scènes d'Iran
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Le théâtre par temps de guerre et d’élections

Le théâtre est assimilé à un lieu et à une activité incertaine où le faux et le vrai s’enlacent et se disputent. Ce déchirement qui lui est propre se trouve être aussi à la source de l’amour et du désamour dont le théâtre éprouve le conflit. Déchirement qui intervient davantage encore lorsque le théâtre se trouve impliqué dans la vie, surtout dans des situations extrêmes qui, grâce à lui, se colorent d’une dimension excessive, marquée par l’impact d’un lieu ou d’une action étrangère au spectacle. Rien de pire que le théâtre en dehors du théâtre.
Un témoignage récent a surenchéri sur cette conviction qui m’accompagne depuis des années. Nous savions que bon nombre de civils ukrainiens s’étaient réfugiés dans le théâtre de Marioupol entièrement converti en abri pour ces démunis. Une metteuse en scène ukrainienne, Lioudmyla Kolosovitch, apporte un supplément d’informations (Le Monde daté du 11 avril) en racontant qu’en raison du froid qui régnait dans la grande salle, on avait ouvert la réserve des costumes afin de s’en servir pour se protéger de la rigueur météorologique. Quand le théâtre fut bombardé, bon nombre des victimes étaient couvertes d’habits de scène et cela donnait une dimension encore plus tragique au carnage. Parce que, dans un certain sens, le théâtre lui accordait une dimension grotesque inattendue…, de pauvres habitants ukrainiens travestis par des costumes de fortune sont tombés sous les bombes assassines.

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Virginia à la bibliothèque

A l’initiative d’Edith Amsellem, la compagnie ERd’0, créée à Marseille en 2012 a pour projet de faire vivre le théâtre dans des lieux particuliers, en dehors des scènes dédiées aux représentations de spectacle.

Dans l’esprit d’Antoine Vitez pour qui « il faut faire théâtre de tout », elle investit les terrains de sport, les cours de récré, les parcs et jardins publics pour y faire revivre en les adaptant les oeuvres de Choderlos de Laclos, Witold Gombrowicz ou des versions méconnues du Chaperon rouge.

Ce rapport entre espace réel et fiction trouve une très grande pertinence dans le spectacle Virginia à la bibliothèque (1) imaginé par Edith Amsellem et Anne Naudon d’après Un lieu à soi de Virginia Woolf.

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Le théâtre et le monstre : notes préliminaires pour une socio-économie du théâtre brésilien

Pour en savoir plus sur les scènes brésiliennes contemporaines, découvrez notre publication de juillet 2021 !

http://www.alternativestheatrales.be/catalogue/revue/143

Quand nous essayons de réfléchir à la socio-économie du théâtre brésilien, nous sommes confrontés à deux vérités supposément éternelles. D’un côté, nous apprenons que le théâtre et l’économie sont deux champs opposés. Selon cette perspective économique, le théâtre appartient à un secteur archaïque tandis que le secteur progressif, fondé sur les gains de productivité grâce aux technologies, représente la quintessence économique. Cette dichotomie entre un secteur économique archaïque et un autre progressif s’est cristallisée dans les études que les économistes nord-américains William Baumol et William Bowen ont menées dans les années 1960[1] notamment dans leur livre Performing Arts – the economic dillema. Nous comprenons le dilemme rapporté par le titre du livre comme une décision fatale : ou le théâtre disparaît, à cause de la « maladie des coûts », ou l’économie en général arrête de grandir, parce que la croissance du secteur progressif sera neutralisée par la stagnation du secteur archaïque.

La deuxième vérité à laquelle nous devons nous confronter est celle du rôle de l’État. Comme le théâtre ne survit pas tout seul dans l’économie, il a besoin de l’aide publique. L’État doit donc fonctionner comme une sorte de père du théâtre en donnant toutes les conditions et ressources nécessaires aux pratiques théâtrales. Les politiques culturelles doivent garantir les équipements, les lieux, les professionnel.le.s, les publics, etc. La maintenance et la permanence du théâtre sont, dans cette perspective, un but gouvernemental.

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Vader pour les 20 ans de Peeping Tom

Dirigée par l’argentine Gabriela Carizo et le français Frank Chartier, la compagnie de théâtre belge Peeping Tom fête ses 20 ans cette année par une série de reprises (1) heureusement permises par la réouverture des salles de spectacles.

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Gabriela Carizo et Franck Chartier- Compagnie Peeping Tom

Le KVS a eu la bonne idée de proposer Vader,créé en 2014 – (2).

Spectacle emblématique de la compagnie, il plonge ses racines dans l’univers du cabaret – divertissement où se mêlent chansons populaires, danse , acrobatie, humour déjanté, gags, adresses au public – qui, quand il est réussi, peut aussi aborder les thèmes et les questions qui sont au coeur de la vie en société (ici la fin de vie dans une maison de repos).

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Quand tu es revenu de Geneviève Damas au théâtre des Martyrs, Bruxelles.

« …les soirs de vague à l’âme et de mélancolie n’a-tu jamais en rêve au ciel d’un autre lit compté de nouvelles étoiles… »

Pénélope, Georges Brassens

Geneviève Damas est une artiste protéiforme : actrice, metteure en scène, auteure, nouvelliste, romancière … elle n’hésite pas à prolonger sa passion des mots par des ateliers d’écriture ou en se faisant chroniqueuse occasionnelle pour la presse écrite. On dirait qu’elle a mille vies qui s’entrelacent les unes dans les autres.

Cette propension à mordre dans la réalité et la vie à pleine dents, on la retrouve dans le texte jubilatoire créé au théâtre des Martyrs ce 9 juin. Il vient à point nommé pour nous redonner le goût du théâtre après ces mois de grand manque où nous aspirions à retrouver le spectacle vivant.

« Tu ne m’as pas reconnu » appartient par certains aspects à l’autofiction qui a imprégné la littérature de ces dernières années et  tisse avec brio l’histoire de cinq couples puisés dans l’histoire, la mythologie, la généalogie familiale de l’auteure et bien sûr son imagination. Deux figures tutélaires pour orienter le récit : celle de Pénélope (la femme qui reste) et celle du grand-père de l’auteure (l’homme qui part).

Genevieve Damas_Credit photo Zvonock
Genevieve Damas_Credit photo Zvonock
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