Aimer jusqu’à la mort a-t-il encore un sens aujourd’hui ? Au festival d’Aix-en-Provence,
le metteur en scène australien Simon Stone transpose « Tristan und Isolde » en
2020, et met le mythe wagnérien à l’épreuve de notre modernité.
L’actualisation radicale
de l’opéra de Wagner par Simon Stone n’est pas originale en tant que telle. C’est
aujourd’hui un véritable exercice de style de demander ce qui serait encore « actuel »
dans un opéra, et de répondre en transposant l’action… dans le présent. Simon
Stone joue pleinement cette carte, qui a le double avantage de proposer une
lecture critique des œuvres du répertoire, tout en proposant de mieux
comprendre notre présent à partir d’elles. Mais cela suppose de montrer à quoi
tient la singularité du présent, et de dire pourquoi certains mythes ne
seraient plus les nôtres. En effet, si l’histoire de Tristan et Isolde
est une image de l’insatisfaction du désir, de quel point de vue serait-elle
aujourd’hui dépassée ? L’immense intérêt de la mise en scène de Simon Stone ne
tient donc pas dans son geste d’actualisation, mais à la manière singulière
dont il le fait. En voulant confronter le mythe de l’amour à mort (Liebestod)
avec les expériences amoureuses d’aujourd’hui — réelles ou fantasmées — Simon
Stone propose une relecture de Wagner profondément ambiguë. Il s’agit bien sûr d’une
démystification, réalisant scéniquement la phrase d’Adorno qui voyait dans Tristan
une sublimation du vaudeville bourgeois. Mais si Tristan est vraiment un
pur fantasme, cela implique pour Simon Stone de limiter sa critique aux ilots
privilégiés de nos sociétés où l’adultère n’engage pas — le plus souvent — de
risque mortel. Cette restriction du champ est assumée par le metteur en scène,
qui formule son diagnostic dans un dispositif astucieux, où la démystification
se situe elle-même sur le plan du rêve amoureux : Isolde ne peut que rêver
aujourd’hui son aventure avec Tristan, car plus rien ne s’y oppose vraiment, et
la tragédie de l’amour impossible n’en est plus une, il n’y a que « relation »
ou solitude. Simon Stone cherche à explorer cette contradiction, en suggérant
que si le mythe de Tristan n’a plus de sens dans une société comme la
nôtre, nous continuons de le fantasmer d’autant plus et le faisons survivre
sous d’autres formes, à commencer par celle du cinéma.
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