Un pantin fragile

À propos de « Frankenstein » de Jan-Christoph Gockel et Michael Pietsch

Frankenstein. Photo Hubert Amiel.

Adapté du roman de Mary Shelley, ce Frankenstein mêle à l’histoire de Victor Frankenstein celle du processus de conception de la gigantesque marionnette qui prend vie sous nos yeux. Le spectacle assume donc le côté atelier de bricolage à partir d’un matériau hétérogène. D’un côté, les épisodes de la vie de Victor Frankenstein, le jeune homme exalté qui délaisse sa famille genevoise pour aller se perdre dans l’obsession de son projet fou, consistant à donner vie à une créature artificielle. De l’autre, les fragments d’histoires de la multitude d’objets qui s’amoncellent sur les différentes parties du corps de la créature. Chacun est une relique d’une vie enfuie : ici, un harmonica qui raconte le talent d’un grand-père imité par son petit-fils ; là, une chemise dont l’odeur évoque aux yeux d’une veuve le « parfum de la bonne humeur » qu’exhalait son mari quand il la portait. On navigue donc, enveloppé dans une saveur nostalgique, du temps du bonheur de la famille Frankenstein, qui se retire peu à peu à mesure que Victor s’éloigne, à la mémoire des morts dans les mots de leurs proches, dont les objets retissent les fils. Il y a dans ce spectacle un plaisir du jeu qui donne parfois naissance à des trouvailles prometteuses, ainsi quand tous les acteurs incarnent tour à tour Victor, parfois ensemble, Victor devenant une entité démultipliée à qui l’énergie de la création semble donner mille bras.
Difficile pourtant de se retrouver dans ce va-et-vient permanent, et surtout de saisir le projet des auteurs : certes, on comprend que les objets ayant appartenu à des personnes décédées figurent les organes des cadavres à partir desquels Frankenstein a conçu sa créature. Mais s’agit-il de suggérer, en parsemant son grand corps d’objets hors d’usage, qu’il manque à la créature ce qui donne vie à la matière – le poids des affects et de la mémoire humaine ? S’agit-il de mettre en regard le rêve d’un être-machine dépossédé d’histoire et les histoires qui animent les machines et se lovent dans leurs mécanismes ? On perçoit en tout cas qu’à partir du roman de Shelley, Jan-Christoph Gockel et Michael Pietsch ont visiblement souhaité saisir la place des objets comme lien entre la vie et la mort. Mais les petites bribes de vie esquissées, avec leur côté Amélie Poulain, peinent à rencontrer la noirceur et les enjeux du roman gothique touchant au rapport créateur-créature, à la science ou à la monstruosité. Certes, l’immense marionnette est impressionnante, mais au-delà des beaux effets de lumière et de son qui la mettent en valeur, on a du mal à la voir autrement que comme un accessoire et à comprendre son destin. Pas plus qu’on ne s’attache véritablement à celui de Victor, dont les tourments très – trop – appuyés ont du mal à nous émouvoir, sa relation à la créature et à son projet étant assez peu approfondis.
La matière était-elle trop dense, trop riche de pistes possibles, trop exaltante, au point qu’il ait été difficile aux auteurs de choisir un angle précis, de se centrer, de renoncer ? Peut-être. Dans ce Frankenstein, porté par un travail fin sur la musique et la lumière, ainsi que par de belles intuitions, il est malheureusement difficile de suivre un fil qui nous emporterait.

« Frankenstein », du 7 au 17 mars au Théatre National (Bruxelles)

Frankenstein de Jan-Christoph Gockel et Michael Pietsch / Texte et mise en scène Jan-Christoph Gockel/ D’après le roman «Frankenstein; Or The Modern Prometheus» de Mary Shelley/ Scénographe Julia Kurzweg, Créateur marionnettes & marionnettiste Michael Pietsch, Création Costumes Emilie Jonet, Création son & musicien Anton Berman, Créateur lumière Jean-Jacques Deneumoustier, Dramaturge Cécile Michel, Assistant mise en scène Maxime Glaude, Assistante scénographie Sarah Deppe, Julia Ippolito, Assistante dramaturgie Irina Reinke, Traduction et surtitrage Werkhuis SPRL, Cécile Michel / Avec Léone François, Anton Berman, Alfredo Cañavate, Bruce Ellison, Thomas Halle, Gianni La Rocca, Michael Pietsch (en alternance avec Laurenz Leky) Et Lucas Hamblenne, Romain Gueudré, Pierre Ottinger


	

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