Je désire donc je suis

Le spectacle Celle que vous croyez (de Camille Laurens, adaptation de Jessica Gazon), présenté au Théâtre du Rideau à Bruxelles du 14/01 au 01/02/20.

Le virtuel a profondément changé notre rapport au monde . Pour le pire et le meilleur. Les fake news  ont précipité le brexit anglais et assuré l’élection de Donald Trump. Les réseaux sociaux ont aussi permis comme une traînée de poudre l’émergence et la belle solidarité des printemps arabes.

Dans le domaine de l’intime, on peut se dire je t’aime d’un bout à l’autre de la planète comme on peut poster sur internet des images pornographiques qui détruisent une vie et poussent au suicide.

La question du vrai et du faux qui hante depuis la nuit des temps la conscience des femmes et des hommes  en philosophie, en politique comme dans les rapports familiaux et amoureux est aussi au coeur de la création artistique. Je suis en mensonge qui dit toujours la vérité comme l’ écrivait Cocteau.

La compagnie Gazon Nève s’est emparé du livre écrit par Camille Laurens (Celle que vous croyez ,Gallimard 2016) pour réaliser un magnifique spectacle qui nous entraîne dans les méandres du désir et de la passion amoureuse. Il y avait matière à théâtre dans ce récit qui mêle fiction et réalité et qui explore toutes les facettes des sentiments (ou l’absence de sentiments) que peuvent ressentir un couple happé par la tentative de créer du lien sans qu’une rencontre n’aboutisse. Peine perdue, puisque l’une et l’autre n’auront qu’une envie : passer du virtuel au réel.

Matière à théâtre puisqu’ici le sujet permet le dédoublement des personnages dans une mise en abîme fascinante.

Dès le départ on est mis en présence du théâtre dans le théâtre : avant que les lumières ne s’éteignent, metteuse en scène, actrices, acteurs et techniciens nous font participer à une répétition où chacun s’affaire à mettre en place la représentation dans laquelle nous sommes progressivement entrainés pour se retrouver très vite dans le vif su sujet :

la création d’un lien virtuel entre une femme et un homme avec son cortège de découvertes, de déclarations, de fascination et de frustrations.

Il y avait déjà dans le beau livre de Camille Laurens des glissements d’un personnage dans un autre. L’auteure anime un atelier d’écriture dans un hôpital psychiatrique où elle rencontre une femme, Claire, au prénom prédestiné, car rien de moins clair chez cette femme qui se cache derrière un prénom d’emprunt pour trouver un partenaire amoureux par le biais des réseaux sociaux. Divorcée, intellectuelle, enseignante, sortant d’une relation amoureuse insatisfaisante, elle rêve de trouver un nouvel amour qui la raccrochera à la vie. Elle trouve son partenaire (Chris) et va entamer avec lui une longue relation virtuelle qui débouchera, suite à de nombreux subterfuges, à une vraie rencontre, car finalement, « il faut que le corps exulte ». Bien sûr « l’autre » sera un personnage lourd, séducteur, grossier, tout le contraire de l’élégante Claire au rêve fracassé.

La rencontre aura lieu par plans successifs : un très beau film réunira les personnages (le cinéma comme effet de réel) et un ingénieux dispositif scénique représentera deux univers

de chambre (design et de bon goût pour Claire, sordide et sans âme pour Chris). La confusion des sentiments sera représenté aussi par le mélange de ces deux espaces pour signer la fin de l’aventure quand la veulerie et la lâcheté de Chris laissera Claire anéantie.

On pourrait croire que cette tragédie contemporaine serait représentée dans un climat étouffant et pesant, il n’en n’est rien. L’humour est tout le temps présent au coeur de la représentation. Surtout, les personnages sont empreints d’ humanité. Valérie Bauchau (Valérie/Claire/ Camille) est lumineuse de vérité. Nous savons depuis longtemps qu’il s’agit d’une grande actrice. ici elle est incandescente : nous sommes au plus prés d’elle et l’accompagnons dans ses frémissements, son engagement, ses doutes et sa renaissance.

On est pas fier d’être un homme en face de Chris et sa conduite odieuse que Benjamin Ramon dans son interprétation coup de poing défend avec brio. La délicatesse du jeu de Quentin Marteau et Gaêtan d’Agostino, contrepoint de douceur et d’empathie complète avec justesse la palette des sentiments et de comportement que ce beau spectacle mis en scène par Jessica Gazon explore avec intensité. Une réussite exemplaire.

Bernard Debroux

Celle que vous croyez de Camille Laurent
Adaptation et mise-en-scène de Jessica Gazon. 

Avec Valérie Bauchau, Benjamin Ramon, Gaêtan d’Agostino, Quentin Marteau.
Scénographie de Vincent Bresmal, lumières de Guillaume Toussaint Fromentin, costumes d'Elise Abraham, univers sonore de Guillaume Istace.
Un spectacle du Rideau de Bruxelles et de la compagnie Gazon-Nève, Bruxelles théâtre du rideau de Bruxelles, du 14/01 au 01/02/20.

https://www.rideaudebruxelles.be/

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