Docteur Stockmann, prenez garde à vos débordements !

À propos d’« Un Ennemi du peuple » d’après Henrik Ibsen, mis en scène par Sébastien Bournac

Dans son combat pour la vérité, le docteur Stockmann a quelque chose d’héroïque, d’émouvant. Cet homme d’idéal et d’absolu mérite notre respect. Ses intentions sont vertueuses. Mais il arrive qu’une intention vertueuse mal gérée, mal guidée se dévoie et conduise à l’erreur, à l’errance. L’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions – un rappel qui interdit une fraternité sans faille avec Stockmann. Continuer la lecture « Docteur Stockmann, prenez garde à vos débordements ! »

Jour de l’attentat

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 10 : note de 2015.

– JOUR DE L’ATTENTAT. J’étais à Albi le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, dans une rencontre avec le public. Alors est venue (forcément) la question : que peut l’écriture contre cela ? À quoi j’ai répondu par une phrase de Brecht extraite de son Journal de Travail. Le 16 septembre 1940, à l’issue de la bataille d’Angleterre, alors qu’il est occupé à écrire sa pièce, il note : « Puntila ne me concerne presque en rien, la guerre en tout ; je peux presque tout écrire sur Puntila, rien sur la guerre. Je ne pense pas seulement au « droit » décrire, je pense réellement aussi à la « capacité » d’écrire. Il est intéressant de voir comment la littérature est reléguée en tant que praxis, à une telle distance du centre des événements dont tout dépend. » Continuer la lecture « Jour de l’attentat »

Trois notes sur Tchekhov

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 9 : notes non datées autour de Tchekhov (plusieurs périodes).

LA MOUETTE N’EST PAS UNE PIÈCE DE L’AMOUR CONTRARIÉ, comme on l’avance parfois un peu simplement. Ce n’est pas une tragédie de la passion amoureuse. Treplev ne se suicide pas parce qu’il a perdu Nina et celle-ci ne trouve pas le bonheur avec Trigorine. Ces échecs les marquent au fer rouge, mais le moteur de leurs actes est à chercher dans la nécessité où la vie les place d’avoir à franchir la distance qui sépare l’illusion de la réalité. Continuer la lecture « Trois notes sur Tchekhov »

Le texte ne doit pas trop ressentir.

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 8 : note non datée (fin des années 1990).

– LE TEXTE NE DOIT PAS TROP RESSENTIR. Il doit dire. Il est en cela proche parent du comédien. Le comédien en effet ne doit pas trop ressentir, il doit dire. Trop émotionné par ce qu’il joue, il ne nous communique plus l’émotion, il nous constitue seulement en voyeur de son hypersensibilité. Rien ne passe de lui à nous sinon son désir de faire apprécier le formidable investissement du personnage auquel il se livre. Je sue, je pleure, je suffoque, regardez dans quels états je me mets, semble-t-il dire, c’est la preuve que je suis un bon acteur, non ? Là où il devrait remplir sa fonction de passeur entre la pièce et le spectateur, là où il avait le devoir d’organiser un dire qui suscite intelligence et sensibilité dans le public, il s’interpose indûment, provoquant l’attention sur le narcissisme de son jeu.
 
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La petite maison sans grâce entraîne l’adhésion des spectateurs.

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 7 : note à propos du spectacle « J’habitais une petite maison sans grâce, j’aimais le boudin », d’après son recueil autobiographique « Spoutnik » (Éd. Aden, 2008), adapté par Virginie Thirion et Philippe Jeusette, actuellement au Théâtre Varia.

Lorsque Philippe Jeusette m’a proposé de jouer des moments de Spoutnik, un texte autobiographique, j’ai dit oui immédiatement, c’est un acteur puissant qui sait allier force et finesse, violence et fantaisie, et trouver le contact avec le spectateur. Continuer la lecture « La petite maison sans grâce entraîne l’adhésion des spectateurs. »

Avant la première

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 6 : note d’octobre 1998 (première publication dans le numéro 58-59 d’Alternatives théâtrales).

– AVANT LA PREMIÈRE. Je suis assis. La salle est dans la pénombre, le plateau est faiblement allumé. Je ne sais pourquoi, je me souviens tout à coup qu’un jour, après avoir regardé un match de foot, je m’étais demandé si les joueurs – comme souvent les acteurs de théâtre – pissent avant d’entrer en jeu. C’était une question assez triviale, j’en conviens. Mais pourquoi faudrait-il se l’interdire dès l’instant où le théâtre, le sport, mettent en branle des corps humains ? Et cette interrogation n’était pas sitôt venue qu’elle fit remonter de ma mémoire un souvenir, celui d’une émission de radio que j’avais entendue il y a longtemps, où Mary Marquet, une grande actrice, celle-là, un de ces monstres sacrés à l’ancienne, déclarait avec un aplomb inimaginable (je cite approximativement): « on n’est pas vraiment actrice si on n’a jamais pissé dans l’évier de sa loge ». Ha ! J’imagine d’ici la scène ! La grande Marquet un pied sur une chaise, l’autre sur le lavabo, relevant la robe d’Hermione, et s’efforçant de pisser trois ultimes gouttes pendant que le régisseur de plateau frappe à la porte de la loge en disant : « madame Marquet en scène dans une minute ! »

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Chéreau à Bruxelles / Casarès dans la salle

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 5 : notes non datées (années 80-90).

– PATRICE CHÉREAU À BRUXELLES. Il cherche un lieu pour représenter Dans la solitude des champs de coton de Koltès. Il a fixé son choix sur les Halles de Schaerbeek. Avant lui, Mnouchkine, pour Sihanouk, avait fait le même choix. Ça et là, on entend des critiques contre Mortier qui programme le spectacle : il investirait des sommes trop importantes pour équiper provisoirement les Halles. Personne ne songe à voir le scandale là où il est : que dans une ville comme Bruxelles, il n’y a actuellement aucune salle équipée pour recevoir des créateurs comme Mnouchkine et Chéreau.

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Écrire un théâtre qui donne figure à l’incertitude (et autres notes)

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 4 : notes non datées (fin des années 90).

– ÉCRIRE UN THÉÂTRE QUI DONNE FIGURE À L’INCERTITUDE dont nous sommes constitués, par nature et par société, qui s’installe dans la zone obscure où une chose peut basculer dans son contraire.

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« Nous répétons dans l’ancien garage de la rue Borrens. » (et autres notes)

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme. Extrait 3 : notes rédigées durant les répétitions de « Katia Kabanova », créé en 1983 à La Monnaie (direction musicale Sylvain Cambreling, mise en scène Philippe Sireuil, dramaturgie Jean-Marie Piemme et Michel Vittoz).

– NOUS TRAVAILLONS BEAUCOUP SUR KATIA KABANOVA et nous sentons assez rapidement s’imposer l’idée d’un grand miroir qu’on traverse, idéal, propice, nous semble-t-il, à matérialiser un peu de ces regards que toujours Katia sent peser sur elle, propre aussi à susciter les connotations imaginaires de « l’autre scène», celle du désir, lorsque, comme il se doit dans la tradition, on en vient à le franchir. Bientôt Katia enfant, ce refuge souvent évoqué par Katia adulte, fera son apparition dans l’espace scénique amenant avec elle le rapport privilégié que le personnage entretient avec la musique. Après avoir renoncé à une première esquisse de décor faite d’un sol vallonné, d’un cyclo et d’une toile peinte en guise de rideau, nous avançons à grands pas vers les encadrements et les grandes photographies qui vont donner sa figure singulière à notre espace scénique et à notre point de vue dramaturgique : entre deux photographies de Katia enfant, le fil d’une vie et de sa mort. Entre deux instants du regard, le temps du tragique.

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Écrire ? et autres notes

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme.
Extrait 2 : notes non datées (années 90).

– ÉCRIRE ? Oui, écrire. Restituer le roulis qu’on a dans la tête. À l’origine, il y a quelque chose qui roule dans la tête, pas très identifiable, et on essaie d’entrer dans le roulis pour voir ce que c’est. Et on découvre un château hanté. On ouvre des portes qui donnent sur d’autres portes, on dérive lentement, on est soi loin de soi. Ce n’est pas une descente dans les profondeurs, une aventure intérieure, l’autre nom de la vieille introspection. Quand on entre dans le roulis, paradoxalement, on retrouve l’extérieur. Sophocle est là et aussi Shakespeare, et papa et maman, et le grand tamtam du monde. Il faut alors décortiquer, recomposer, coller, disjoindre, bâtir, détruire : écrire. Je crois à des élans de positivité sur fond de terreur, je refuse de dissocier les deux plans, la dissociation est un mensonge.

– LA VÉRITE D’UNE PAROLE n’est pas seulement dans ce qu’elle dit, elle est également dans la façon dont elle le dit. La forme est une conviction.

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