– JOUR DE L’ATTENTAT. J’étais à Albi le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, dans une rencontre avec le public. Alors est venue (forcément) la question : que peut l’écriture contre cela ? À quoi j’ai répondu par une phrase de Brecht extraite de son Journal de Travail. Le 16 septembre 1940, à l’issue de la bataille d’Angleterre, alors qu’il est occupé à écrire sa pièce, il note : « Puntila ne me concerne presque en rien, la guerre en tout ; je peux presque tout écrire sur Puntila, rien sur la guerre. Je ne pense pas seulement au « droit » décrire, je pense réellement aussi à la « capacité » d’écrire. Il est intéressant de voir comment la littérature est reléguée en tant que praxis, à une telle distance du centre des événements dont tout dépend. » Façon pour Brecht, me semble-t-il, de reconnaître que l’événement et l’écriture ne fonctionnent pas dans la même temporalité, que le temps de l’événement n’est pas le temps de l’écriture. L’écriture produit son mouvement et trouve son impact dans la distance, elle est une mise à distance qui permet de mieux voir ou de voir autrement ou de voir autre chose, elle est distance si elle est écriture. C’est un medium froid (quelle que soit la chaleur qui s’en dégage) face au medium chaud qu’est l’événement, surtout s’il met la vie et la mort en jeu. La Révolution française n’a produit aucun grand théâtre. Avant, oui (Beaumarchais). Après, oui (Büchner et La Mort de Danton). Pendant, quoi ? Quand la théâtralité de la rue est forte, elle impose un silence momentané à la théâtralité des planches.
Jean-Marie Piemme, interviewé cette semaine par François Caudron sur Musiq3 à propos des attentats du 22 mars.
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