Le théâtre de consommation culturelle

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme.
Extrait 1 : note du 6 décembre 2015.

Le théâtre de consommation culturelle se satisfait vite de la prestation « Canada dry » qui, selon sa publicité, ressemblait à de l’alcool, mais n’était pas de l’alcool. La consommation culturelle aime le simili : cela ressemble à une démarche artistique, mais ce n’est pas une démarche artistique. C’est un surf habile sur les vagues du goût moyen, un produit attractif sensé satisfaire une attente bien disposée que l’exigence artistique ne taraude pas. Le théâtre de consommation culturelle est un théâtre paresseux. Il est paresseux à la façon de ces élèves doués qui pourraient faire des étincelles, s’ils le voulaient, mais se satisfont d’une note présentable, une note en tout cas qui n’indisposera pas les parents. C’est qu’il y a souvent un immense talent dans le théâtre de consommation culturelle. Le théâtre de consommation culturelle aime les valeurs sûres, le reçu, le canonique, le déjà digéré, les grands noms, les grandes réputations. Des grecs à Shakespeare, de Molière à Tchekhov, de Goldoni à Ibsen : les œuvres de haute qualité ne manquent pas, dieu merci. Deux-mille cinq cent ans de théâtre ont accumulé des joyaux dans les caves de la culture. La qualité des propositions textuelles peut facilement être assurée. Mais le théâtre de consommation culturelle a pour vocation moins d’interroger cette qualité, d’explorer la résonnance de celle-ci dans un monde changé, dans une historicité qui bouge, de la mettre en rapport avec notre moment historique, que de transformer sa puissance de vision en marchandise culturelle. Le public est ainsi assimilé à un ensemble de clients qui aiment les placements artistiques sûrs et ne souhaitent pas acheter un chat dans un sac.

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Quoi Louvet?

Texte publié en 2001 dans le n°69 d’Alternatives théâtrales

Et bien quand je pense à lui, je vois un homme sur son seuil, une main tendue, on le salue, il salue, Louvet est un homme public, il interpelle, conseille, milite, écoute, c’est un voisin, un ami, un professeur, un écrivain, une figure qu’on ne croise pas en toute mondanité, la mondanité n’a rien à faire avec la fraternité populaire, quand Louvet est là on s’y heurte, il vous secoue, prenez position s’il vous plaît, ne laissez pas filer le réel comme si rien ne pouvait en infléchir le cours, réfléchissez, faites marcher votre cervelle, regardez le monde, regardez et agissez, il joue de la voix, appelle à la rescousse, sa solide carcasse de tribun du peuple vous énerve, vous emballe, vous subjugue, dragueur va!

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