Un banquet royal

À propos de « Reflets d’un banquet » mis en scène par Pauline d’Ollone au Théâtre de la Vie (Bruxelles, décembre 2015)

Adrien Drumel, Jérémie Siska et Pierange Buondelmonte - © Marieaurore

Quoi de mieux pour terminer l’année 2015 que d’assister au Banquet de Platon, au si bien nommé Théâtre de la Vie, tous deux (texte et espace) revisités par Pauline d’Ollone et six comédiens fabuleux.

Remémorons-nous ce texte alors que nous essayons péniblement de nous remettre de notre gueule de bois post-réveillon et de manière à débuter l’année par de bonnes résolutions : relire nos classiques fondateurs, en particulier grecs.

L’actualité de l’herméneutique platonicienne n’a pas échappé à notre jeune et talentueuse metteuse en scène qui révèle ces propos d’une haute rigueur intellectuelle dans une belle inventivité dramaturgique.

Les convives décident, lors de cette soirée chez Agathon, de ne pas s’enivrer (prenons-en de la graine) et, pour animer la réception qui pourrait sembler quelque peu soporifique, ils se lancent dans un concours d’allocutions sur le thème de l’amour. Le spectateur, qui est soumis successivement aux différents points de vue d’Aristodème, d’Eryximaque, de Pausanias, de Phèdre, d’Appolodore, sans oublier Socrate, est à chaque fois captivé : tour de force de conviction systématique, magistralement accompli par les comédiens.

Où il y sera question de genres (pas seulement homme et femme, c’est plus compliqué que cela), de Dieu(x) et d’amour donc, moins de Thanatos et plus d’Éros, surtout vers la fin de la soirée où ça part carrément en vrille, avec scènes de jalousie (Alcibiade – joué par Jérémie Siska – confesse que Socrate l’a toujours repoussé, qu’il souffre d’un double sentiment, amour fou et folle souffrance d’amour-propre, tout en gardant bon espoir), baisers fugaces et – rapide – rave party animée par Adrien Drumel alias Agathon, déployant une belle énergie dans une inoubliable séquence de rap électronique en grec ancien, grand moment de théâtre, qui se termine sur une chorégraphie de groupe, style dimanche après-midi sur la plage de Torremolinos.

Autre temps fort, Philippe Grand’Henry, qui joue Socrate, agacé par ces agapes qui n’en finissent pas (et sans doute surtout contrarié de ne pas avoir le dernier mot) nous fait une sortie, non seulement de scène mais carrément du théâtre, dans la rue (encore une fois la bien nommée « traversière »). Là, on reprend conscience de la vie réelle, quelques voitures passent en klaxonnant, un piéton en profite pour jeter un coup d’œil à l’intérieur, se demandant sans doute ce que font ces gens silencieux, assis sur ces gradins de fortune, un trivial coussin sous les fesses… Ouf, voilà Socrate qui revient, non sans claquer la porte une bonne fois pour toutes, plus en forme que jamais et prêt à déclamer sa tirade en compagnie de son ancienne maîtresse (de Philosophie bien sûr !) Diotime, une Anne-Marie Loop belle et sensuelle à souhait, qui fait presque tourner la tête aux protagonistes de ce conciliabule quelque peu homosexuel.

Magnifique créativité scénique donc, où l’on a eu l’impression d’avoir réfléchi – merci Socrate – :« Peut-il y avoir d’amour du laid ? »,« Est-il dans la nature de l’amour d’être amour de quelque chose, ou de rien ? » ou « L’amour n’est pas seulement le désir de posséder ce qui est bon, mais le désir de le posséder toujours »… À méditer.

Revenons-en aux acteurs, brillamment dirigés: Aristodème et Eryximaque, interprétés tout en subtilité par Pierange Buondelmonte (qui porte aussi un moment la parole d’Épicure). Ce même Eryximaque qui, comme son nom l’indique en grec, fait cesser littéralement le hoquet d’Aristophane, puissamment incarné, lui, par Achille Ridolfi, qui nous offre par ailleurs vers la fin une interprétation en chant pleine de cœur de l’air final du Didon et Énée de Purcell, opéra baroque par excellence (bravo pour le choix musical). Plus tôt dans la soirée, il nous avait parlé de son fameux mythe: à l’origine, nous étions tous androgynes. À la fois homme et femme, nous avions la forme d’une sphère, et nous nous déplacions par culbutes, en roulant sur nous-même. Notre ambition nous poussa à vouloir devenir l’égal des dieux. Zeus nous punit non pas en nous tuant, mais en nous affaiblissant : il coupa chacun de nous en deux moitiés, l’une mâle et l’autre femelle. Mais chacun, regrettant l’unité originelle, cherchait sa moitié et voulait la rejoindre…

En ce début d’année 2016, rappelons-nous, grâce au théâtre notamment, de l’importance de débattre. Continuons à nous questionner, à nous confronter, à nous pencher sur nos mythes fondateurs et restons enthousiastes (du grec enthousiaszô, qui désigne à l’origine le fait d’être possédé par un Dieu – terme utilisé à foison dans Le Banquet) !

 

Pauline d’Ollone a monté auparavant Lettre au directeur de Théâtre de Denis Guénoun dans le cadre du Furious Festival (2014) et une forme courte Où-suis-je? Qu'ai-je fait? dans le cadre du Festival XS 2015.
Ce même Denis Guénoun a mis en scène La Nuit des Buveurs (Le Banquet) d’après Platon en 2008 avec des étudiants en 2° et 3° années
 du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (Paris).

Enregistrer

Auteur/autrice : Laurence Van Goethem

Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.