Shan Shui est une performance en ligne basée sur A Nublo, le spectacle qu’Edurne Rubio et Maria Jerez devaient présenter dans le cadre du BE FESTIVAL de Birmingham.
Il y aura deux autres représentations le samedi 16 mai ; il est possible de réserver des tickets pour le festival.
On a connu Edurne Rubio et Maria Jerez au théâtre. On a eu la chance de voir leurs performances, leurs pièces, leurs expérimentations dans des volumes offrant une bonne acoustique, avec des conditions techniques permettant de ciseler la lumière afin de mettre l’attention sur l’infiniment petit ou au contraire l’infiniment grand. Aujourd’hui, bien loin de ces cathédrales noires et cubiques que sont les salles de spectacle, bien loin du charme solennel qui y règne d’habitude, nous sommes invités dans notre domicile – des milliers de fois arpentés depuis le lock-down, à participer à un live-stream.
Avachie dans mon canapé, la mise débraillée, exposée à d’autres flux que celui sur lequel il me faudrait à présent me concentrer, je pénètre un nouvel intérieur. Par l’intermédiaire de mon ordinateur, une femme m’accueille. Ça n’est pas un enregistrement, car je vois qu’elle a du mal à fixer son regard longtemps sur quelque chose ; elle se sait observée. Assise sur un grand fauteuil pivotant, elle a des allures de capitaine de space-ship. Après un temps, je finis par comprendre qu’il s’agit d’une des organisatrices du Befestival de Birmingham. Le sérieux qu’elle dégage m’impose directement un respect qui m’empêche de me disperser vers d’autres fenêtres.
L’écran de mon portable soudainement devient noir, pour par la suite se splitter en des images distinctes. J’aperçois le buste de deux femmes, elles sont dans des appartements différents et pourtant elles ont l’air connectées. Commence alors un dialogue qui ne se déploie pas à travers des mots, mais par l’intermédiaire d’actions. Et ces tasses qui se remplissent, ces théières que l’on déplace, cette plante en pot qui crisse sous des doigts à la recherche d’un contact manquant, finissent par former un décor qui n’évoque en rien la vie domestique, mais une nature grouillante. Délicatement, comme peut le faire une brise matinale, nos sens, par procuration, s’éveillent. Curieux, après ces deux mois de confinement, on se laisse entraîner dans une randonnée qui, si elle a lieu dans un espace clos, nous emmène bien au-delà des murs qui semblent la contenir.
Lorsque l’on marche dans la nature, un dénivelé, une vallée qui soudainement s’assombrit, un son qui nous parvient, un arbre insolite, forment les ingrédients d’une aventure qui très vite peut s’avérer palpitante. Car qu’on le veuille ou non, nous sommes des corps qui vivons grâce à leurs porosités à l’air, aux odeurs, au toucher, à leurs amours de l’eau, leurs sens du froid et du chaud. Et le vagabondage dans lequel nous invitent Rubio et Jerez agit comme un révélateur, nous remémore à quel point l’humain, en fine stratège de la survie, est capable de toutes les audaces pour transformer une situation d’isolement en un terrain d’évasion. Un espace, même fictif, qui nous permet de transcender le chagrin d’être privé de contact ; celui des autres, mais aussi celui de la nature qui à elle seule sait réveiller notre vitalité intrasèque.
Bien après avoir refermé le couvercle de ma lucarne numérique, prostrée sur mon canapé, je me suis sentie comme ces astronautes russes abandonnés sur une base spatiale déglinguée. J’ai eu alors envie d’arracher mon pyjama, d’enfiler mes bottines et d’investir le « dehors ». Afin de sentir le matin, la mousse exhalant ses parfums d’humus, à midi, la terre riche des sous-bois, et le soir l’air saturé des effluves accumulés par le feu du jour.
Avec la performance SHAN SHUI, Rubio et Jerez nous rappellent à quel point l’art est capable d’exprimer avec délicatesse des sentiments aussi complexes que la perte, la fuite, le manque et l’isolement avec une formidable sobriété mêlée d’une ardeur que rien ne semble atténuer, même pas le confinement.