Myriam Tanant s’est éteinte le 12 février 2018. Universitaire, traductrice, peintre, un temps actrice, metteure en scène d’opéras et de théâtre, auteure de théâtre elle-même et parfois librettiste d’opéras, cette femme talentueuse était dotée d’une humanité profonde qui faisait d’elle une collègue et un maître merveilleux. Exigeante et bienveillante, Myriam Tanant avait la passion du cinéma, du théâtre, de la littérature et de l’opéra qu’elle enseignait au département d’Études italiennes et d’Études théâtrales de la Sorbonne-Nouvelle, dont elle était devenue Professeur émérite.
Ses étudiants gardent un souvenir ébloui et sensible de cette très belle femme, pleine de charisme et d’humour, qui racontait comment, jeune-fille, elle dissimulait un magnétophone sous son manteau pour enregistrer les films qu’elle allait voir au cinéma, et les écouter le soir, de retour dans sa chambre. L’enseignement était au cœur du travail de cette universitaire exaltée, qui frappait régulièrement son bureau par inadvertance pour accompagner ses explications. Elle racontait ses cours comme des histoires épiques, sans notes et sans filet, avec cette passion des spectacles qui faisaient de ses séminaires des espaces privilégiés, un peu magiques, où les étudiants regardaient des spectacles et pouvaient donner leur avis. Curieuse de tout et surtout de la jeunesse, Myriam Tanant prenait beaucoup d’intérêt à les écouter.
Dans les années quatre-vingt, sur un de ces quiproquos ubuesques qu’elle affectionnait tant -et enjolivait peut-être un peu par modestie – elle s’était retrouvée assistante de Giorgio Strehler. Elle l’accompagne pour La Trilogie de la villégiature de Goldoni, avec les comédiens de la Comédie-Française, puis sur sa mythique mise en scène de l’Illusion comique de Corneille, au Théâtre de l’Europe, en 1984. Pendant dix ans, elle l’assiste sur des spectacles du Piccolo et du théâtre de l’Odéon, tout en assumant ses activités universitaires et favorisant les stages pour les étudiants, auxquels elle permet aussi d’assister à des répétitions.
Elle avait appris avec Strehler la direction d’acteur et la scénographie. Elle en fera une thèse de Doctorat d’État : La prova infinita : Giorgio Strehler entre pratique et recherche théâtrale, puis un livre éclairant intitulé sobrement Giorgio Strehler (1). Le maître aimait son intelligence, son humilité, l’humour et le calme dont elle faisait preuve lorsqu’il était pris d’une colère homérique. Au côté de Strehler, Myriam travaille ou assiste aussi les reprises, à l’Opéra de Paris, de L’Enlèvement au sérail, de Simon Boccanegra et des Noces de Figaro.
Myriam Tanant se cachait souvent. Pudique et forte de son expérience artistique personnelle, elle avait l’humilité des grands. Ainsi ne mettait-elle jamais en avant qu’elle aussi avait signé de nombreuses mises en scène d’opéras, à Lyon, à Bastille, salle Favart ou encore à la Scala de Milan : Prima la musica poi le parole de Salieri, le Directeur de théâtre et Zaïde de Mozart avec Nathalie Dessay, Bastien Bastienne, Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten. etc. La plupart furent joués sous la direction de Claire Gibault. Elle avait écrit des livrets, notamment Dédales pour Hugues Dufourt, La Station thermale et Les oiseaux de passage pour Fabio Vacchi.
Myriam Tanant avait, comme le souligne joliment Armelle Héliot, « l’Italie au cœur ». L’Italie dont elle traduisait les grands auteurs, Luigi Pirandello (2) (L’autre fils, L’Etau, les Cédrats de Sicile, Ou d’un seul ou d’aucun) et son fils Stefano (Un père, il en faut bien un (3)), Italo Svevo, Umberto Eco, etc. Mais c’est surtout avec le théâtre de Goldoni qu’elle avait des affinités particulières. Elle en traduira notamment L’impresario de Smyrne (4) (1983), L’une des dernières soirées de Carnaval (1990 (5)), Les cuisinières, Un homme exemplaire (6)(1993), La Banqueroute (7) (1995). La plupart de ces traductions furent mises en scène par Jean-Claude Penchenat, co-fondateur du théâtre du Soleil et fondateur du Campagnol, théâtre auquel elle collabora comme auteure pendant une vingtaine d’années avec ses propres pièces. Car elle était aussi auteure de théâtre, avec Bar franco-italien, À dimanche et d’autres encore. En 2012, elle avait signé une belle et vive traduction de La Trilogie de la villégiature pour la mise en scène d’Alain Françon à la Comédie-Française. Il lui avait demandé de traduire La Locandiera, sa prochaine création au Français, au printemps 2018. Elle venait d’en achever le texte.
Une mise en scène que Myriam Tanant ne verra pas mais que nous entendrons pour elle.
Marjorie Bertin est docteure en Études théâtrales sous la direction de Myriam Tanant.
1. Myriam Tanant, Giorgio Strehler, Arles, Actes sud, 2007. 2. Luigi Pirandello, Théâtre complet, tome I (1977) et II (1985), Paris, Gallimard. 3. Paris, L’avant-scène, coll. les Quatre vents, 2009. 4. Introduction et notes, imprimerie de la Vigié / Théâtre du Campagnol, 1983 Représenté dans une mise en scène de Jean Claude Penchennat. 5. Introduction et notes, Actes Sud –papiers, 1990. 6. (avec Jean Claude Penchenat) Actes Sud-papiers 1993. 7. Actes Sud-papiers 1994 Myriam Tanant a écrit dans Alternatives théâtrales: #37 Théâtre testamentaire, oeuvre ultime: Strehler ou le testament du Phénix #126-127 Amitié, argent, les nerfs du théâtre...: Paolo Grassi – Giorgio Strehler : l’amitié véhémente de deux « rêveurs pragmatiques »