d’après le journal d’un fou de Gogol.
Un spectacle de Natacha Belova et Teresita Iacobelli.
Au théâtre avoisinent le grand et le petit.
En découvrant la remarquable adaptation que Natacha Belova et Teresita Iacobelli ont faite du journal d’un fou de Gogol (« loco » signifie fou en espagnol) (1), je me suis rappelé l’impressionnant Revizor (l’inspecteur général) du même Gogol mis en scène par Mathias Langhoff au tournant du siècle que j’avais invité au théâtre National dans le cadre de Bruxelles 2000, ville européenne de la culture.
Un bondissant Martial di Fonzo Bo (tiens, un Argentin, pas loin du Chili de Teresita…), mélange de Buster Keaton et de Charlie Chaplin évoluait dans un immense décor en forme de tour de Babel. Langhoff prenait appui sur la fable ( un blanc-bec bien fringué se fait passer pour l’envoyé du gouvernement et en profite pour s’en mettre plein les poches) pour déployer un comique dur et blessant qui faisait mouche ; un théâtre de la rage.
Avec Loco, c’est un tout autre Gogol qui est mis à jour : celui de la tendresse et de la fragilité humaine.
Avec une économie de moyens — des objets réduits à l’essentiel pour illustrer la fable — mais surtout la présence fascinante d’un visage de marionnette (représentant le petit fonctionnaire Poprichtchine, solitaire et perdu dans une existence dérisoire) et deux actrices/manipulatrices se mouvant avec une extrême douceur, on est entraîné petit à petit dans le monde du rêve où se réfugie Poprichtchine pour échapper à la monotonie étouffante de sa vie répétitive de copiste.
Vivre par procuration est souvent l’exutoire des faibles et des dominés : on s’imagine l’amoureux de la personne inaccessible, on rêve d’humilier le patron qui nous domine, on se voit régnant sur le monde et n’être plus le sujet redevable. (2)
Ce qui est exemplaire dans Loco, c’est la délicatesse et l’invention, et souvent l’humour avec laquelle ces thèmes sont traités. Tout concourt à nous envelopper dans une bulle à la fois imaginaire et présente de profonde humanité grâce à un minutieux travail de maîtrise de la voix des personnages, du corps (et des chevelures) des actrices, de la lenteur des déplacements dans un espace minimaliste, de la belle simplicité des objets — le lit, la valise, les papiers, la couleur des vêtements —, des surprises scénographiques — l’utilisation ingénieuse du papier, l’apparition d’un énorme poisson sortant du lit …, d’un univers sonore subtil et du clair- obscur savamment utilisé pour aborder les personnages et les situations.
La force du spectacle et la qualité de sa mise en oeuvre font que progressivement c’est la marionnette de Poprichtchine qui devient réelle. On glisse avec elle dans ses fantasmes, ses rêves, sa folie douce.
(1) Loco de et mis en scène par Natacha Belova et Teresita IacobelliAvec Teresita Iacobelli et Marta Pereira. Chorégraphe, regard extérieur : Nicole Mossoux.
Créateur lumière Christian Halkin. Construction de la marionnette Loïc Nebrada. Créateur
sonore : Simon Gonzalez. Créatrice costumes Jackye Fauconnier
(2) Métaphore du théâtre où les actrices et les acteurs, le temps de la représentation,
endossent la vie et l’âme des personnages qu’ils vont interpréter…