À quoi tient une rencontre? À une voix. À une coïncidence. À un secret. À un manque. « À une lignée d’oiseaux sans branche. » À la beauté d’un visage.À quoi tient cette rencontre écrite par Wajdi Mouawad, entre Wajida, une jeune femme arabe et Eitan, un homme juif? À un livre et à un esprit cartésien frappé par 46 chromosomes, à un oiseau amphibie rencontrant une autre langue que la sienne.
On songe aux branchies de cette femme imaginée par Guillermo del Toro dans La Forme de l’eau.
On songe aux bibliothèques de Robert Lepage qu’on visitait derrière des lunettes à la BNF, en voyant celle de N.Y, conçue par Emmanuel Clolus, scénographe des spectacles de Wajdi.
On songe aux écrits d’Etty Hillesum, déportée à 29 ans : « La saloperie des autres est aussi en nous. » « Tu es ce que tu détestes » criera le grand-père d’Eitan à son fils David. « Il faut une armoire pour enfermer des douleurs pareilles ». C’est dans cette même armoire qu’est logée la clé de l’identité de David. Identité, du latin idem qui signifie « le même ». Mais aurait-il été le même si le secret de son origine lui avait été révélé enfant? L’identité comme mouvement, dont la mémoire assure la continuité, est liée ici à la notion de transmission. Transmission de la culpabilité de celui qui a survécu, transmission de ce qui forge une identité collective, transmission d’une langue qui nous offre à entendre ici l’hébreu, l’allemand, l’arabe et l’anglais. Ce qui est immuable en émigrant ou en immigrant se situe dans la voix, la voix qui garantit d’être « le même » au-delà du temps et de l’espace. David, père d’Eitan parlant hébreu et vivant à Berlin avec une Allemande, ne supporte pas que son fils soit épris d’une femme arabe. « Mais rien n’empêche un poisson et un oiseau de tomber amoureux » nous rappelle l’adage qu’illustrera la légende racontée aux portes de la mort par Léon l’Africain.
Nous sommes à New-York, nous sommes à Berlin aujourd’hui, nous sommes en plein massacre de Sabra et Chatila en 1982, nous sommes en Israël où Eitan a été victime d’un attentat. Nous sommes face à des murs mouvants, glissants sous nos yeux, nous transportant d’un lieu à un autre si doucement, frontalement: le Mur de Berlin, le Mur des Lamentations. Nous sommes face à l’horizontal de ce qui est figé, avec un lit d’hôpital qui fera office de table autour de laquelle la parole peut se déployer, avec une scénographie épurée, discrète comme ce qui est caché dans les armoires du temps. Nous sommes dans l’air avec les bruits assourdissants de la guerre. Nous nous rapprochons de l’eau et de ses courants avec la lumière d’Eric Champoux, qui nous fait naviguer dans l’espace et dans le temps. Puisqu’il est question de temps, du temps qu’il faudra pour que soit dévoilée la vérité, – « Ce n’est pas la vérité qui crève les yeux d’Oedipe mais la vitesse à laquelle il la reçoit »- le temps d’une vie pour que soit accordé un regard, « Je t’ai porté 50 années dans mon ventre », pour donner son pardon, pour comprendre que l’histoire de son fils vient mettre de la lumière sur les manques et sur les secrets.
En passant quatre heures avec cette famille, avec cette grand-mère interprétée par Leora Livlin à l’humour qui transforme le tragique en baume, avec Jalal Altawil, contraint à l’exil, avec Jeremie Galiana, avec Souheila Yacoub, cette femme à la beauté qui console, on songe aux oiseaux capables d’aller de chaque côté du mur et on aimerait que nous poussent des ouies et des ailes pour inventer une nouvelle langue et qu’enfin dansent ensemble les oiseaux et les poissons.
Tous des oiseaux a été présenté au Théâtre national de la Colline en décembre 2017 Notre innocence : représentations au Théâtre national de la Colline du 14 mars au 11 avril 2018
Faire danser ensemble les oiseaux et les poissons …oui …et la délicatesse et la bienveillance avec la même sincérité…simplement …un élan plein de belles choses …