Fasciné par les villes fantômes (celles de la fameuse route 66 pour le premier volet de Ghost Road en 2012, puis celle de Chacabuco dans le désert d’Atacama pour children of Nowhere,en 2015), Fabrice Murgia poursuit son trajet d’artiste/voyageur pour nous faire découvrir Oziorsk en Russie, près du complexe nucléaire de Maïak qui en 1957 a vécu la troisième plus importante catastrophe nucléaire au monde. Il en a tiré un monologue puissant inspiré par la rencontre d’un habitant qui vit dans cette ville secrète où vivent toujours des milliers de personnes. Mêlant théâtre, cinéma et musique, le spectacle oscille entre documentaire et fiction et est porté par la présence bouleversante de Josse De Pauw que Fabrice Murgia a choisi de nous faire suivre au plus près de sa voix, de son corps et des ses mouvements par l’utilisation d’un casque remis à chaque spectateur. Par ce prolongement de la vie sur scène au plus près de sa réception, on est ainsi totalement habité par la vie concrète de l’acteur, on entend le moindre souffle (surtout de longues respirations/éructations), les froissement d’étoffes, le détail des gestes quotidiens et jusqu’à ses murmures, comme si on pénétrait dans la vie intérieure du personnage.
Déjà partenaire de Fabrice Murgia pour les deux premiers volets de Ghost Road, Dominique Pauwels a créé pour la mémoire des arbres une musique fascinante aux accents marqués par l’univers musical russe des 19e et 20e siècle et qui enveloppe tout le spectacle d’une atmosphère étrange et belle. Cette musique est un véritable partenaire de la représentation, Dominique Pauwels assurant en direct ses interventions un peu à l’écart du plateau aux commandes de la régie sonore.
La présence d’enfants qui entourent le personnage central et viennent par moments partager la scène rappellent à la fois l’horreur de la situation (ils sont toujours contaminés) et en même temps sont un signe d’espoir car la vie continue…
Lorsqu’apparaît la statue de Staline auquel le personnage s’adresse dans une longue diatribe à la violence désespérée et à l’ humanité désarmante, on se sent ramené à notre impuissance devant ce qui apparaît aujourd’hui en ces temps d’inquiétude climatique comme un avenir sombre…
Dans ces paysages désolés et morts, les arbres ont continué de croître et de vivre. ils sont les témoins poétiques et muets de la vie d’avant, de la catastrophe nucléaire qui a eu lieu, et seront sans doute toujours là quand nous ne serons plus.
Jacques Delcuvellerie avait choisi de débuter Rwanda 94 par le récit de Yolande Mukagasana, rescapée du génocide. Ici c’est à la fin du spectacle que Nadezda Kutepova, militante des droits de l’homme et créatrice de l’ONG, Planète de l’espoir, dans un long témoignage, relate son histoire d’échappée du désastre qui a pu reconstruire avec ses enfants une vie nouvelle en Occident.
La Mémoire des arbres, Conception, écriture et mise en scène Fabrice Murgia. Composition, installations et interprétation Dominique Pauwels. Avec Josse De Pauw, des enfants.
Une production de la compagnie Artara & LOD muziektheater. Coproduction Théâtre National Wallonie-Bruxelles, KVS – Koninklijke Vlaamse Schouwburg, Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, Théâtre L’Aire Libre de St Jacques de la Lande.
Création au Théâtre National, Bruxelles le 12 octobre 2019
Pour en savoir plus : Voir le numéro 136 d’Alternatives théâtrales: Théâtre Musique. Variations contemporaines A lire tout particulièrement : « Vibrations transdisciplinaires, entretien avec Fabrice Murgia » réalisé par Isabelle Dumont