Comment dire la douceur d’une plume ? C’est en cette question en apparence triviale que Fluff, le nouveau seule-en-scène de la jeune artiste Berlinoise Emmilou Rößling, trouve son élan et sa profonde vitalité.
Présenté le 31 janvier 2020 dans la Goudenzaal du Beursschouwburg de Bruxelles dans le cadre du Bâtard festival, cet objet chorégraphique surprenant et énigmatique voit son auteure déployer un microcosme autonome et sculptural avec, tour à tour, la précision désenchantée d’une travailleuse à la chaîne, la dévotion d’une vestale, la candeur d’une enfant.
Sur fond d’une imposante toile blanche peinte de formes colorées éparses et abstraites, Emmilou Rößling tisse une chorégraphie précise, contemplative, délicate, faisant fi du spectaculaire sans jamais cesser d’être envoûtante.
En guise d’introduction, la jeune artiste invite sans fard le public à s’approcher. Il est question ici d’intimité, de douceur, de la construction d’un monde sensible duquel nous sommes invités à être les témoins.
La première des trois séquences qui compose cette pièce voit l’artiste se mouvoir lentement, dessinant dans l’espace une trajectoire courbe et sensuelle, s’appropriant la scène dans un mouvement de glissement continu, comme un éveil : prélude à la naissance d’un monde. Un monde que l’artiste s’attache à construire, geste par geste, s’appuyant sur la polysémie de son titre pour composer une poétique incarnée de la douceur et du futile, comme un manifeste : Fluff ! En effet, ce terme anglais se réfère, dans le monde matériel, au duvet d’une plume d’oie autant qu’aux moutons de poussières qui jonchent parfois le sol des maisons négligées, recouvrant aussi des notions plus abstraites : la trivialité, le divertissement, ou encore, l’échec.
Construire, donc. Délicatement. Composer, invoquer, prendre… Prendre soin. Un mode opératoire que révèle la deuxième séquence de la pièce, qui voit l’artiste se saisir du tas de branches gisant en fond de scène pour échafauder une sorte de nid suspendu, un mobile que l’artiste, une fois construit, fait tourner avec soin en toisant doucement le public du regard.
En écho à cette architecture éphémère et aérienne, la troisième et ultime partie de la pièce voit l’artiste exécuter en boucle une séquence chorégraphique composée de gestes en apparence familiers qui ne se laissent jamais toutefois pleinement identifiés – une tâche ménagère ? une prière ? une caresse ? Cette phrase en forme de glossolalie gestuelle opère comme un mantra kinésique, répété en boucle, longuement, alors que la lumière décline progressivement pour plonger la scène dans une nuit délicatement rétroéclairée jusqu’à ce que soudain, l’artiste rompe le rituel en plein vol, s’immobilisant tout à coup pour adresser au public un merci aussi inattendu que timide.
Ultime image qui en dit long sur la virtuosité avec laquelle Emmilou Rößling s’approprie l’exercice périlleux du seule-en scène et qui évoque le célèbre « Autoportrait en allégorie de la peinture » (1638) de la peintre italienne Artemisia Gentileschi : une jeune femme artiste qui s’approprie pleinement son médium, imposant librement sa vision d’elle-même et de son art, loin de tout cliché.
FLUFF Mise-en-scène : Emmilou Rößling Date et lieu de création : Ada Studio in Uferstudios Berlin, 26 janvier 2019 Interprète : Emmilou Rößling Photo : Johanna Malm https://www.emmilouroessling.com/fluff/Batard Festival: https://www.batard.be/ Beursschouwburg