Festival Radikal

La scène contemporaine bruxelloise à Berlin dans les locaux de Sasha Waltz.

"Atomic 3001" de Leslie Mannès présenté à Berlin dans le cadre du festival RADIKAL Dance From Brussels (3-4 nov. 2017). Photo Caroline Thirion.

À l’initiative du Ministre Bruxellois de la Promotion de Bruxelles, en partenariat avec Visitbrussels et Wallonie-Bruxelles International, quatre curateurs (Tom Bonte du Beursschouwbourg, Patrick Bonté des Brigittines, Christophe Galent des Halles de Schaerbeek et Guy Gypens du Kaaitheater) ont programmé neuf artistes de la scène contemporaine bruxelloise à un public berlinois, dans les locaux de Radialsystem V dirigé par la chorégraphe Sacha Waltz.

Plusieurs solos à signaler dans cette riche programmation, dont celui de Leslie Mannès, transfigurée en automate cadencé dans Atomic3001, mouvement d’un corps résolument ancré dont le haut pulse en vertigineuse ondulation au rythme de la musique live de Thomas Turine et de l’éclairage minutieux de Vincent Lemaitre. Une articulation cohérente entre musique, lumière et mouvement « pour que l’état prenne corps »¹, qui interroge l’aliénation physique de l’homme contemporain.

La chorégraphe d’origine argentine Ayelen Parolin transcende ses racines amérindiennes dans Hérétiques, une danse-transe extrême et parfaitement maitrisée par un duo de danseurs exceptionnels : Marc Iglesias et Gilles Fumba. Une névrose organisée et encadrée, qui s’intensifie en crescendo dans une structure géométrique précise. Un mouvement à l’unisson qui incarne l’endurance combattive d’une révolte spirituelle.

Appliquant stricto sensu cette obsession de Frédéric Flamand, « que l’espace puisse en quelque sorte continuer en dehors du théâtre, en-dessous, au-dessus… »² Benjamin Vandewalle dans Walking the line déploie in situ (ici en l’occurrence à Berlin, dans les environs de la gare de l’Est) un mouvement de groupe maitrisé, des corps qui envahissent l’espace urbain. Dociles, à la queue-leu-leu, le spectateur-acteur déambule, suivant des injonctions strictes, les yeux soit fermés soit ouverts au travers d’un masque qui délimite sa vue, plongé pendant plus d’une heure dans un espace mental insolite, aux prises avec des perceptions dilatées du réel. Une expérience sensorielle totale.

Louis Vanhaverbeke explore dans Multiverse les potentialités des objets, et nous les re-présente sur scène en les détournant ingénieusement, entraînant dans l’esprit du spectateur un décalage avec le réel empreint d’intelligence ironique. Tout en courant par intervalles réguliers au rythme de vieilles chansons familières autour du cercle formé de tas d’ustensiles hétéroclites, affublé par exemple d’un maillot rouge une pièce à la « Malibu Beach » (ou en pyjama), il détruit nos mythologies postmodernes et accomplit en direct « live » sa révolution copernicienne personnelle, nous emmenant  dans un nouveau monde subjectivement recomposé.

La danse contemporaine bruxelloise a une indéniable vitalité. Elle rayonne partout dans le monde et ne tinte plus que très vaguement des échos jadis avant-gardistes de Maurice Béjart. Incontestablement grâce à P.A.R.T.S, l’école de danse fondée en 1994 par Anne Teresa de Keersmaeker et Bernard Foccroulle, où plusieurs de ces artistes ont été formés. Quoi de mieux en effet pour une ville aussi bouillonnante que de nourrir et développer sur le long terme ces talents, de leur fournir un lieu de formation, de recherche et d’expérimentation à la pointe ? Frédéric Flamand affirmait déjà à l’époque : « La danse est le parent pauvre de la Communauté française. »³ Alors, à quand une école de danse en Fédération Wallonie-Bruxelles ? Ce serait là sans doute le meilleur investissement pour la promotion et le développement à long terme d’une « armée » d’artistes qui s’approprieraient le monde pour nous l’offrir en partage, dans des lieux implantés au cœur de la ville, aussi exceptionnels que le Beurschouwbourg, les Brigittines-Centre d’art et du mouvement, le Kaaitheater ou les Halles de Schaerbeek. Les quatre directeurs-curateurs ont fait preuve pour « Radikal dance » d’une énergie constructive en dialoguant de façon amicale – faisant fi de la fragmentation, de la communautarisation et du repli sur soi tellement répandus dans un pays tel que le nôtre.

 

1. Tiré d’un entretien avec Leslie Mannès réalisé par Bernard Debroux en 2010, publié dans le #105 Théâtre-danse, la fusion ou rien !

2. « Interroger le corps », Frédéric Flamand, Alternatives théâtrales #124-125 Élargir les frontières du théâtre.

3. http://www.lalibre.be/culture/scenes/flamand-veut-abandonner-la-raffinerie-51b8803be4b0de6db9a944e3
Les autres artistes programmés au Festival Radikal étaient les déjà fort (re)connus Louise Vanneste, Gabriel Schenker (annulé), Samuel Lefeuvre, Salva Sanchis et Daniel Linehan. Louise Vanneste et Ayelen Parolin sont chorégraphes résidentes à Charleroi/Danse, le Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles rebaptisé ainsi par Frédéric Flamand (anciennement appelé Ballet royal de Wallonie) et dirigé aujourd’hui par Annie Bozzini. (http://www.charleroi-danse.be)

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Auteur/autrice : Laurence Van Goethem

Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales.

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