Si vous aimez Les Indes Galantes de Rameau, mais aussi les danses urbaines et plus précisément le Krump, on vous invite à découvrir un magnifique film de Clément Cogitore, nommé aux César 2019 dans la catégorie meilleur court-métrage, et à lire ou relire cet entretien avec le réalisateur paru dans le N° 141, Images en scène, Cinéma, art vidéo, numérique/danse, théâtre, opéra, marionnette, juillet 2020.
Sylvie Martin-Lahmani
Entretien avec Clément Cogitore par Marjorie Bertin
En 2017, le cinéaste Clément Cogitore réalisait un court-métrage pour 3e Scène, la plate-forme numérique de l’Opéra de Paris. Des danseurs de krump s’y livraient à une joute sur l’exaltante Danse du grand calumet de la paix des Indes galantes de Jean-Philippe Rameau. Un court-métrage (projeté au CENTQUATRE-PARIS en 2019) qui a permis à Clément Cogitore d’être invité à créer l’intégralité des Indes galantes dans sa propre mise en scène à l’Opéra Bastille en 2019.
Est-ce qu’une danse comme le krump peut être restituée grâce au recours à la caméra ?
Quand j’ai réalisé les Indes galantes pour la collection 3e Scène, l’idée était de tourner sur scène afin que les caméras soient des énergies au même titre que les corps des danseurs. Les caméras étaient presque invisibles, les danseurs et les figurants – dont certains filmaient également le battle avec des téléphones portables – ne savaient pas toujours où elles se trouvaient. Cela donne l’impression d’être immergés au milieu des corps. Ce n’est pas du tout le même résultat que pour la captation des Indes galantes, réalisée à l’Opéra Bastille par François-René Martin, en deux soirées de représentation. Les caméras y avaient des places précises, prédéterminées par l’Opéra de Paris. Ce genre de captation permet de faire beaucoup de choses mais évidemment pas ce que j’ai pu faire en approchant les caméras des danseurs.
Pourquoi avoir intégré des personnages qui filment dans votre court-métrage ?
C’est une pratique courante des battles de krump : le public filme souvent les danseurs. Et les danseurs eux-mêmes se filment parfois en direct. Je trouvais intéressant de montrer ce rapport à la caméra. Comment filme-t-on une œuvre vivante en étant soi-même metteur en scène ? Est-ce-que la connaissance du plateau l’enrichit ? Je n’ai jamais fait de captation de mise en scène mais je perçois les problèmes auxquels les réalisateurs de captation sont confrontés. Pour la 3 e Scène de l’Opéra de Paris, certes, c’est de la danse filmée sur la scène de l’Opéra, mais c’est avant tout un film qui aurait pu être tourné dans un studio de cinéma. Il était symboliquement important pour moi que ces danseurs soient sur la scène de l’Opéra de Paris. J’ai filmé des corps, mais cela n’a rien à voir avec le fait de filmer du spectacle vivant, ce n’est pas de la captation. Il s’agit de scènes en cercle, les danseurs sont au centre sans qu’il y ait de quatrième mur. Ce n’est donc pas du tout la même logique que lorsque l’on capte un ballet ou une mise en scène, tout était ici mis en place en fonction des images que je voulais produire.
Filmer de la danse vous intéresse ?
Ce qui m’intéresse plus, je pense, c’est l’intégration de la danse dans un opéra-ballet, dans un décor et une dramaturgie donnés. Filmer de la danse m’intéresse mais la danse est une expérience tellement physique que j’ai l’impression que cela touche plus vite ses limites ! Ma vidéo des Indes galantes dure six minutes, dans lesquelles j’espère avoir restitué l’intensité que j’ai ressentie sur le plateau, pendant le tournage. Au-delà, cela s’épuiserait dans la durée car je pense que l’émotion de la danse reste avant tout celle éprouvée devant un corps en mouvement dans un espace physique commun.
Quel regard portez-vous sur la captation théâtrale ou opératique ?
C’est un document qui permet d’avoir une idée de ce qui a été fait, mais ça ne remplacera jamais le contact avec la scène et la sensation d’être au milieu du public. La captation peut parfois apporter un deuxième point de vue sur la mise en scène, cela peut être une possibilité de la revisiter ou de masquer certains défauts. Pour la captation que François René-Martin a faite des Indes galantes, il y avait des instants où je lui avais donné des indications pour évacuer par le cadre des éléments qui fonctionnaient moins bien que d’autres.
Qu’est-ce qui ne fonctionnait pas ?
Des éléments de costume, de maquillage et de décors faits pour être vus de loin. Lorsque l’on est à l’Opéra Bastille, le premier spectateur est environ à dix mètres du premier soliste, ce n’est pas la configuration des Bouffes du Nord ! Cela permet de créer une circulation du regard différente, de gagner en proximité sur l’expression des chanteurs notamment. Mais on perd l’effet monumental, cette sensation d’art total que l’on ressent fortement à Bastille. L’image n’arrive pas toujours à la resituer en plan très large, c’est difficile à transmettre.
Quelles questions vous posent les liens entre l’image et la scène ?
La vidéo me semble légitime sur le plateau mais j’en rencontre peu d’utilisations vraiment libres ou innovantes. L’image vidéo en tant que principe narratif m’a souvent déçu. Et le combat avec le corps des acteurs me semble assez brutal. L’image l’emporte toujours sur le corps ! Un des dangers de la caméra sur scène est qu’elle agit comme un aspirateur du regard, elle permet de montrer avec précision un visage par exemple, cela crée de l’intimité et induit une accoutumance. Il est rare qu’elle quitte le plateau sans susciter un manque, une rupture d’échelle.