Un vieil homme, marionnette de taille humaine, unie avec son créateur marionnettiste (Alain Moreau) par les jambes et les bras – jusqu’à ce que la mort les sépare. Ou tout le moins la solitude, non pas contrainte mais désirée, choisie. Car c’est elle, la créature qui, d’un geste simple, fera comprendre à son manipulateur sa volonté de désunification. Mais avant, tout au long de la pièce, le vieux apprête son éloignement : d’abord de chez lui (il sort les poubelles) puis sur une plage… Un repli dans une tour de sable, face à une mer qui monte inexorablement.
La mer du Nord sans doute, dernier terrain vague qui, bientôt, engloutira nos contrées. On ne la voit pas, mais on l’entend, on la sent, on la guette, telle une funeste menace ; et peu à peu le vent vient s’écarteler, alors que le soleil se couche.
Les atmosphères, très réussies, se déclinent aux jeux de lumières teintés de musique et de sonorités.
Le vieux se met ainsi à délimiter et décorer son espace (de vie, de mort) avec des bâtonnets plantés dans le rivage qu’il orne d’un bout de tissu. Autant de drapeaux pour marquer, laisser une trace, tout éphémère soit-elle. Il se sert une bière, tant bien que mal, s’énerve un peu, et sa douceur prend une teinte encore plus humaine. Il perd soudain son alliance dans le sable, du sable s’engouffre à son tour dans sa chaussure, qui, pour se vider, chavire et fait écouler le temps, comme un sablier, un retour en arrière dans ses souvenirs, dans les nôtres. Une scène au ralenti, comme tout le spectacle, muette, comme toute la pièce, car « les vieux ne parlent plus, ou alors seulement parfois du bout des yeux » (Brel)…
Les échanges complices et tacites du marionnettiste avec sa créature intensifient leur présence et créent un dialogue intangible et constant avec le spectateur et entre la fiction, le vivant et l’inanimé. Un théâtre d’objets et d’images, sans psychologie aucune, un espace libre qui laisse l’imaginaire éclore et l’inerte attester de la vie.
Une méditation sur le temps au crépuscule d’une existence, des gestes précis qu’on a vu faire cent fois par nos aïeux : porter un mouchoir sur ses lèvres, resserrer une cravate, ouvrir une bière et la servir dans un verre adapté, malgré la brise qui souffle, la matière qui se faufile, les éléments qui s’acharnent.
L’importance de soigner chaque mouvement, comme s’il était le dernier. Tout converge vers la fin, apaisée, comme une seconde naissance, entourée d’eau.
Tout est dit, sans un mot. Un lâcher prise nécessaire.
Soleil couchant, du Tof Théâtre. Vu au théâtre Varia. Conception, mise en scène, scénographie, interprétation & marionnette : Alain Moreau Création musicale : Max Vandervorst Participation à l’écriture et regard extérieur : Laura Durnez Collaboration artistique, chorégraphie et travail sur le mouvement : Seydou Boro Assistanat à la mise en scène: Maud Quertain Création des éclairages : Dimitri Joukovski Regards complices: Delphine Bibet, Thierry Hellin et les OKidoK - Xavier Bouvier et Benoit Devos. Réalisation de la scénographie et de divers accessoires : Geneviève Périat Aide à la scénographie : Anne-Sophie Vanderbeck Aide à la réalisation du costume : Emilie Plazolles et Odile Dubucq Le TOF Théâtre sera programmé avec Piccoli Sentimenti au TGP de St Denis du 2 au 5 mai.