La mort comme question

La Cie 14:20 reprend «Wade In The Water» du 3 au 13 mai 2018 au Théâtre du Rond-Point.

Wade in the Water, cie 14:20. Photo Clément Debailleul.

Voyage énigmatique vers la fin, traversée du désespoir jusqu’à l’acceptation ? Arrachement par une force invisible à l’existence humaine, « lévitation lunaire » ? – comme le suggérait un article du Monde paru en décembre 2016… Wade in the water, dernière création de la compagnie 14:20, mêle comme à l’accoutumée de nombreux langages visuels pour étayer ses propos sur scène. S’ils s’attaquent cette fois au grave sujet de la mort et du deuil, c’est en puisant leurs ressources dans plusieurs disciplines voisines : dans les forces vitales de la danse et plus largement de pratiques corporelles poussées au-delà des habituelles limites terrestres ; dans celles d’un jeu d’acteur proche du mime ; mais aussi dans la musique (originale) de l’improvisateur et trompettiste Ibrahim Maalouf ; et, bien sûr, dans ceux de la magie dont ils incarnent le renouveau.

Pionniers du mouvement artistique de la magie nouvelle, Clément Debailleul et Raphaël Navarro se sont rencontrés très jeunes au Festival CIRCa à Auch, dont ils furent lauréats en 1997. Pour ces fondateurs de la Compagnie 14:20 qui aiment jouer avec les artifices du spectacle vivant et les arcanes de l’illusion théâtrale, « la magie et son espace poétique permettent de renouer avec l’énigmatique ». Ils voient dans la magie nouvelle la possibilité d’un langage autonome et foisonnant, contemporain et populaire, susceptible d’entrer en dialogue avec d’autres écritures scéniques, comme la danse, le théâtre, le cirque, la marionnette, mais aussi la mode ou les arts numériques… Avec Valentine Losseau, chercheuse-anthropologue au Collège de France, dramaturge de l’illusion, et membre de la Cie 14:20 depuis son origine, ils travaillent à la rédaction d’un manifeste pour une Magie nouvelle.

« Magie Nouvelle »… c’est un terme qu’ils ont fait émerger il y a une quinzaine d’années, avec le souhait de sortir d’une imagerie clichée et sclérosée. S’ils ont apposé au terme « magie » le qualificatif « nouvelle », c’est essentiellement pour signifier leur inscription dans l’histoire de cet art dont ils ne rougissent pas. « Contemporain » aurait donné l’impression d’une volonté de rupture avec les pratiques du passé… C’est donc dans la lignée de leurs plus ou moins prestigieux prédécesseurs, célèbres illusionnistes et autres charlatans sorciers, qu’ils exploitent avec finesse les ressorts burlesques et fantastiques propres au genre (trucs, mentalisme et jeux d’optique…), et créent des pièces et des installations « où le merveilleux se conjugue à l’inexplicable ». Dans la lignée, mais sans leur ressembler tout à fait, puisque leurs créations s’écrivent aujourd’hui dans le respect de règles dramaturgiques, plus fréquemment observées sur les scènes de théâtre qu’au cabaret. Avec Wade in the water, Clément Debailleul et Raphaël Navarro se sont attachés au parcours d’un homme et de sa famille, face à la tragédie promise : la mort, en l’occurrence, du personnage principal incarné ici par Aragorn Boulanger. Moins intéressés par le passage vers un hypothétique au-delà, que par le phénomène de la mort, les créateurs ont orienté leur réflexion vers les enjeux de la lutte puis de l’acceptation de celle-ci : « Parallèlement au spectacle, nous avons entrepris des démarches dans des services de soins palliatifs, afin de rencontrer de manière concrète le  phénomène mourir ». Leur cheminement de pensée ainsi que le chemin parcouru sur scène par l’homme malade, s’inspire des travaux d’Elisabeth Kübler-Ross. Cette psychiatre helvético-américaine, pionnière de l’approche des soins palliatifs pour les personnes en fin de vie, s’est surtout fait connaître par sa théorisation sur les stades émotionnels traversés par les personnes qui apprennent leur mort prochaine. D’après ses études datant des années soixante, le malade en fin de vie traverserait ces « cinq phases du deuil » : Déni, Colère, Marchandage, Dépression et Acceptation finale. Kübler-Ross considère par ailleurs que ces étapes s’appliquent également à la mort de l’autre, ou à la séparation d’avec un être cher… « Cette femme a dès le départ élargi ses recherches à toute forme de perte catastrophique, perte d’une société face à la crise économique, perte d’un emploi ou de sa liberté. Tout deuil ! C’est ce qui nous a permis d’établir un lien avec notre envie de traiter plus largement le thème de la lutte et de l’acceptation dans notre spectacle », explique Clément Debailleul. « La mort comme question, c’est ce qui nous a attirés dans ce sujet. Peu importe sa culture ou sa croyance, le phénomène est complètement inconnu. Et pour nous qui travaillons sur la magie, c’était une occasion de réfléchir à nos préoccupations profondes, les énigmes, les choses peu explicables qui créent du merveilleux dans la vie. Il y a bien d’autres aspects dans l’existence qui peuvent recouvrir une dimension énigmatique, mais la mort est sans doute la plus puissante et la plus mystérieuse. » (…)

Lire la suite dans le #131 Écrire, comment ?
Pour la première édition du festival de magie nouvelle au Théâtre du Rond-Point, cinq artistes associés, Raphaël Navarro, Étienne Saglio, Valentine Losseau, Clément Debailleul et Yann Frisch, se retrouvent autour de créations ou de reprises de leur répertoire, et imaginent ensemble un foisonnement de surprises magiques.

Installations, conférences, formes courtes de jeunes talents...
À voir également jusqu'au 6 mai 2018 une adaptation de Faust de Goethe à la Comédie Française, Vieux-Colombiers.
Adaptation, magie et mise en scène : Valentine Losseau et Raphaël Navarro
 Traduction : Gérard de Nerval 
Scénographie : Éric Ruf et Vincent Wüthrich
 
À paraître en juin 2018 : Poétiques de l'illusion : Dialogues contemporains entre marionnette et magie, éditions Alternatives théâtrales en partenariat avec THEMAA – Association nationale des Théâtres de Marionnettes et des Arts Associés, l'Institut International de la Marionnette (IIM) et le Centre national des arts du Cirque (Cnac) pour la chaire ICiMa. 
Rédaction en chef : Sylvie Martin-Lahmani.
Comité éditorial : Emmanuelle Castang, Thierry Collet, Isabelle Drubigny, Raphaèle Fleury, Gentiane Guillot, Hubert Jégat, Valentine Losseau, Raphaël Navarro, Julie Postel, Eloi Recoing, Étienne Saglio et Cyril Thomas.
D'après les Rencontres Nationales 2016 « Poétiques de l'Illusion », initiées et coordonnées par THEMAA en collaboration avec la chaire ICiMa et en partenariat avec l'Académie Frattelini, le Cnac, HorsLesMurs (devenu Artcena), l'IIM, le musée du quai Branly – Jacques Chirac et de la SACD.

Auteur/autrice : Sylvie Martin-Lahmani

Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines. Particulièrement attentive aux formes d’arts dits mineurs (marionnette, cirque, rue), intéressée par les artistes qui ont « le souci du monde », elle a été codirectrice entre 2016 et 2021, et est actuellement directrice de publication de la revue Alternatives théâtrales.

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