Avec le printemps revient au Théâtre National le XS, festival dédié aux formes courtes naviguant allègrement du théâtre à la performance, du cirque au théâtre d’objets. On y découvre de jeunes artistes expérimentant ce qui, parfois, s’épanouira dans des œuvres longues, on y voit des plus aguerris se confronter au format court, on s’y étonne, on s’y amuse, on s’y émerveille – parfois on s’y agace, mais c’est le jeu.
Une soirée au XS révèle toujours une part de magie, et cette édition ne fait pas exception. Il y a ainsi, dans O, let me… de la Compagnie Les Mains Sales, une grâce presque surnaturelle, teintée d’un érotisme légèrement troublant. Au son du violoncelle de Hannah Al-Kharusy et de la voix de Sarah Lazerges, l’insatiable Coline Caen épuise son compagnon aux yeux bandés, Serge Lazar, à vouloir s’accrocher à lui et sauter dans ses bras depuis des hauteurs de plus en plus vertigineuse. La tension et l’intensité de ces corps qui se rencontrent s’apaisent parfois en de puissantes étreintes, les acrobates oscillant entre l’effort sauvage et les délices de l’abandon amoureux. Malgré toute la virtuosité de la performance technique, l’attention reste dirigée vers la force et l’ambiguïté des relations, donnant à voir un jeu vital, d’une beauté aussi violente que mélancolique.
Une mélancolie qui se retrouve dans les Tentatives d’approche d’un point de suspension, de Yoann Bourgeois, sur un mode beaucoup plus doux. Ce jongleur et danseur propose ici trois courts spectacles, qui évoquent magnifiquement l’attraction et l’éloignement, la rencontre et la solitude. Avec sa comparse Yurié Tsugawa, ils cassent des chaises, s’empoignent presque, avant que le plateau roulant où ils se font face les éloigne irrémédiablement. Mais c’est dans la dernière partie que l’alliance de maîtrise et de poésie atteint son point d’orgue : accompagné de Yurié Tsugawa au piano, Yoann Bourgeois s’escrime à monter un escalier de bois, rebondissant presque à chaque pas sur un trampoline duquel il s’élève à nouveau pour essayer encore, inlassablement. Dans ces dix minutes à couper la souffle, d’une grande délicatesse, quelque chose de très beau et de très dense se passe, comme si, en se concentrant sur cette action minimale, l’interprète captait de la condition humaine un fragment déchirant de vérité, de sublime et de tristesse.
Triste, le View de la compagnie Still Life pourrait l’être : les acteurs nous invitent à observer par la baie vitrée, depuis une salle donnant sur la terrasse du théâtre, une cérémonie funéraire. À mesure que le fils du défunt laisse éclater sa douleur, la réception prend un tour inattendu, où le grotesque et l’ironie sont accentués par le dispositif scénique, qui donne l’impression d’observer à la dérobée un moment intime et solennel qui vire au fiasco.
Dans Backup, la Compagnie Chaliwaté et la Compagnie Focus racontent eux aussi un drame : à travers une expédition de reporters posant le pied au Pôle Nord et la séparation de deux ours sur leurs morceaux de banquise, ils abordent les conséquences du réchauffement climatique. Si le propos est grave, l’usage des objets, du décor, des effets visuels donnent à la pièce un côté ingénieux, imprévisible et fantaisiste aussi touchant qu’amusant.
On le voit là encore : le mélange de jeu, de bricolage et de poésie, au Festival XS, fait souvent mouche. Les autres registres, en revanche, semblent moins fonctionner : les incursions dans le réalisme social et politique (Muettes de Bogdan Zamfir), dans la pure expérimentation formelle (À travers les aulnes de Louise Vanneste et la Compagnie Rising Horses) ou la performance sonore hermético-conceptuelle (Accents, David Somlo et Claudia Triozzi) sont loin d’être convaincantes. Mais pour les pépites inventives qu’on y trouve, lovées dans les plis du réel, déambuler au XS est toujours une délicieuse façon d’entrer dans le printemps.