À vingt-cinq ans, Olivier connaît la date de labellisation AOC d’une quantité impressionnante de fromages, le nom latin d’une multitude d’arbrisseaux, la date de naissance de tous les cyclistes importants du XXe siècle. Cette accumulation encyclopédique de connaissances a un but : participer à l’émission Questions pour un champion, dont il sera huit fois victorieux.
Cette Vraie vie s’ouvre sur la mise en scène du célèbre quiz. Entre les techniques d’apprentissage d’Olivier, les dilemmes pour choisir entre la séries de questions thématiques, la lutte à mort avec les autres candidats pour sortir en moins de 7 secondes le nom de ce roman de Dostoïevski paru en 1869, le spectacle de la culture érigée en compétition, rythmé comme un match de boxe, est souvent très drôle. La tension, le suspense, la pression, et surtout l’emphase et la théâtralité d’un Julien Lepers bouillonnant : toute la première partie de la pièce nous plonge dans une course effrénée vers la victoire, d’où pointe, derrière l’humour, une forme de violence. Car si Olivier est un si bon candidat télévisuel, si son cerveau file comme l’éclair, s’il est si cultivé, s’il s’en sort si bien dans la bataille intellectuelle et scolaire, on perçoit que les réponses au tac au tac éclipsent les ondes d’échec ou de malaise qui traversent Olivier sur d’autres scènes.
Questions pour un champion est la porte d’entrée vers la manière qu’a ce jeune homme brillant de se tenir au monde : on navigue entre sa préparation au jeu et ses souvenirs, lui qui n’arrive pas à embrasser les filles qu’il raccompagne, lui qui hésite, lui qui, recroquevillé dans la salle de bain d’une chambre d’hôtel où l’attend une très jolie fille, enfin, pour une fois, ne sait pas comment faire.
La Vraie vie d’Olivier Liron retrace, et c’est le plus touchant, le parcours d’un éveil au monde, au corps, à sa voix propre ; peut-être d’une libération ou, du moins, d’un allègement. Peu à peu, le rempart de savoir se fissure, le rapport livresque, voire scolaire, aux choses cède la place à l’éclosion des sens, comme si Olivier se réconciliait avec lui-même à mesure qu’il s’abandonne à l’amour et au désir. Au martèlement des réponses du quiz en début de pièce répondent alors la sensualité de passages musicaux et chantés et l’ouverture d’une parole poétique, plus libre et plus intime, à travers laquelle la question de gagner ou perdre s’est déplacée.
La pièce reste le récit autocentré d’un jeune intellectuel tourmenté, palpitant d’abord par l’art et les livres, sûr de son cerveau, moins de son corps. Si la pièce, même lorsque la parole se libère, reste celle d’un vrai littéraire et semble parfois un peu trop écrite, l’écriture très maîtrisée est parcourue d’éclats lumineux. Certes, on éprouve inévitablement une forme de connivence satisfaite entre gens de culture, face à la description d’extases quasi mystiques devant des tableaux de Rothko ou la lecture de poèmes de St-John-Perse que le jeune Olivier murmure à sa colocataire insomniaque au creux des nuits. Mais La vraie vie d’Olivier Liron, par sa sensibilité à tout ce qui est beau, avec sa sincérité palpable et la douceur qui la traverse, évite à la fois les pièges de l’entre soi et de l’ironie désabusée. Naviguant habilement entre les scènes multiples d’une jeunesse singulière, entre leurs rythmes, leurs accents et leurs textures, la pièce installe un je-ne-sais-quoi de mélancolique, faisant peut-être écho aux vagues de victoire et de défaites, de désirs et de frustrations, d’asphyxie et d’élan où flottent nos vraies vies.
La vraie vie d'Olivier Liron Théâtre Varia jusqu'au 5 mai AVEC Olivier Liron, Pauline Sikirdji, Lawrence Williams TEXTE Olivier Liron COMPOSITION MUSICALE Lawrence Williams CRÉATION LUMIÈRE Eric Vanden Dunghen ÉCRITURE DU CORPS Elik Niv COSTUMES ET SCÉNOGRAPHIE Laurence Hermant STAGIAIRE MISE EN SCÈNE Chloé Larrère CONCEPTION ET DRAMATURGIE Emilie Flamant, Douglas Grauwels, Olivier Liron ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Emilie Flamant MISE EN SCÈNE Douglas Grauwels