« …les soirs de vague à l’âme et de mélancolie n’a-tu jamais en rêve au ciel d’un autre lit compté de nouvelles étoiles… »
Pénélope, Georges Brassens
Geneviève Damas est une artiste protéiforme : actrice, metteure en scène, auteure, nouvelliste, romancière … elle n’hésite pas à prolonger sa passion des mots par des ateliers d’écriture ou en se faisant chroniqueuse occasionnelle pour la presse écrite. On dirait qu’elle a mille vies qui s’entrelacent les unes dans les autres.
Cette propension à mordre dans la réalité et la vie à pleine dents, on la retrouve dans le texte jubilatoire créé au théâtre des Martyrs ce 9 juin. Il vient à point nommé pour nous redonner le goût du théâtre après ces mois de grand manque où nous aspirions à retrouver le spectacle vivant.
« Tu ne m’as pas reconnu » appartient par certains aspects à l’autofiction qui a imprégné la littérature de ces dernières années et tisse avec brio l’histoire de cinq couples puisés dans l’histoire, la mythologie, la généalogie familiale de l’auteure et bien sûr son imagination. Deux figures tutélaires pour orienter le récit : celle de Pénélope (la femme qui reste) et celle du grand-père de l’auteure (l’homme qui part).
Sur scène une femme et un homme. Ils nous attendent quand nous rentrons dans la salle. On sent tout de suite qu’elle et lui ne nous lâcheront pas. On est au théâtre : les histoires s’enchevêtrent les unes dans les autres, les deux interprètes se glissent dans les personnages, changent de rôle, de sexe et offrent une palette de jeu saisissante—de l’adresse la plus directe au public à la distance que requiert la plongée dans la tragédie grecque. Par petites touches, des signes et références en clin d’oeil jalonnent le récit comme les les travaux d’aiguille de Pénélope, malicieusement exécutés par l’homme et non la femme ou la robe de tragédienne joliment dessinée par Claire Farah dont se pare la femme dans une apparition qui nous renvoie à la représentation de l’antiquité grecque.
Le climat général du spectacle m’a fait fait penser à Woody Allen par cette manière de ne jamais s’appesantir sur le tragique de l’existence pourtant là, en toile de fond (au sens propre le décor minimaliste propose entre autre des reproductions de peinture) mais parsemé de pirouettes inattendues qui font basculer le spectacle dans le rire libérateur.
Le personnage de l’homme est interprété par un Jan Hammenecker au sommet de son art. Si Geneviève Damas l’a choisi—on l’apprend au cours du spectacle qui fait aussi des va-et-vient entre la représentation proprement dite et une simulation de répétition selon le procédé bienvenu du théâtre dans le théâtre—c’est quelle a senti en lui cette capacité à jongler avec tous les registres du jeu théâtral. Cet acteur flamand dévore la langue française avec une gourmandise contagieuse. Il passe du classicisme d’une élocution parfaite dans certains passages référents à la tragédie grecque au réalisme des situations contemporaines où ses expressions savoureuses, corporelles et verbales font mouche.
Geneviève Damas (qui assure aussi la mise en scène en coréalisation avec Guillemette Laurent) alterne colère, revendication, énergie, et fraîcheur dans ces rôles de femmes qu’elle a créées et où s’insèrent par une mise en abîme émouvante des bribes de sa propre vie.
A la fin du spectacle l’acteur décroche une à une les images, photographies et peintures qui constituaient le fond de scène puis disparaît. Ne reste plus devant l’actrice, d’un côté la vieille photo de famille qui lui rappelle d’où elle vient, et de l’autre la jeune fille à la fenêtre de Salvador Dali. Devant elle, la mer, la lumière, le futur.
Quand tu est revenu de Geneviève Damas, mise en scène de Geneviève Damas et Guillemette Laurent, jeu Geneviève Damas et Jan Hammenecker, scénographie Laura Ughetto, un spectacle de la compagnie Albertine au théâtre des Martyrs, Bruxelles du 9 au 27 juin et en tournée en Belgique (Louvain la Neuve, Liège, Colfontaine, Waterloo) durant la saison 2021/2022