HOMMAGE A GEORGES BANU par Serge Saada. Texte traduit en roumain et publié dans Secolul 21 Bucarest, George Banu, contemporanul Nostru, 2020, Serge Saada.
Deux amis discutent à la sortie d’un théâtre…
SERGE
Je l’ai bien vu, je crois que tu n’as pas tout aimé du spectacle
GEORGES
C’est un beau spectacle mais les seaux d’eau renversés à la fin, c’est inutile
SERGE
Tu parlais avec le metteur en scène, tu lui as dit ?
GEORGES
Oui et il a hurlé à son assistant : je t’avais bien dit que Georges allait voir ça tout de suite !
SERGE
Tu as changé entant que spectateur ?
GEORGES
Non pas fondamentalement mais je m’intéresse plus aux détails…
SERGE
Tu as toujours du plaisir au théâtre ?
GEORGES
Parfois ma vie est plus forte… Quand le théâtre peut être plus fort que la vie pendant deux heures, je suis un très bon spectateur
SERGE
Tu ne trouves pas que les rires et les applaudissements deviennent de plus en plus convenus… Minimum trois rappels les jours de premières, même si c’est moyen. C’est fatiguant.
GEORGES
Au salut, j’ai un principe je regarde toujours les chaussures de toute la distribution, je regarde si les chaussures s’accordent bien entre elles, j’ai appris ça en suivant les spectacles de Strehler où les chaussures étaient une sorte de vocabulaire personnalisé de l’homme avec sa chaussure, on peut dire à quelqu’un qu’on accompagne et qui ne va pas souvent au théâtre : regarde quand même les chaussures…
SERGE
J’ai vu que ton voisin t’embêtait à gigoter tout le temps
GEORGES
C’est le metteur en scène, il est comme ça, il ne peut pas s’empêcher de bouger pendant son spectacle, il se gratte la tête, il piétine en restant assis, comme un entraineur de foot qui fait les cent pas quand son équipe rate une action. Juste avant la fin du spectacle sa voisine était en rage, elle lui a dit : écoutez monsieur si ce spectacle vous déplait à ce point sortez ! (Rires)
Qu’est-ce que tu fais ?
SERGE
Je note sur un carnet toutes tes petites histoires. Les chaussures je savais pas… Très bon… L’histoire des chaussures…Après il faut que je me souvienne comment tu les racontes… Sinon ce n’est pas drôle… Un grand critique qui se focalise sur les chaussures c’est quelque chose...
GEORGES
Et tu fais ça depuis longtemps ?
SERGE
Depuis qu’on se connait Georges. Dans ce petit carnet rouge repose la mémoire vive des anecdotes de Georges Banu ! Mais pas que ça… (il ouvre son petit carnet rouge) par exemple j’ai noté là que j’aime beaucoup comment tu commences tes conférences, du moins en France tu commences presque toujours par : Oui alors… Un Oui alorsmâtiné de ton accent roumain, c’est très séduisant… Très ouvert…. Comme ça d’entrée de jeu, tu dis oui, alors à l’audience ou parce que le metteur en scène est en retard et qu’il faut bien dire quelque chose, devant un groupe de travail qui attend de toi une solution tu dis : Oui alors… En faisant mine d’assumer à peine cette place qui t’es donnée tu dis « oui alors » avec une ingénuité parfaite, comme si c’était la première fois… Si Ariane Mnouchkine, Peter Brook, Luca Ronconi, Eugénio Barba, Patrice Chéreau, Armin Petras arrivent en retard, on le sent, tu vas nous raconter une histoire qui commence par ton légendaire : Oui alors…
GEORGES
Tu es sûr que je le dis si souvent ?
SERGE
Presque toujours, j’ai des témoins… Par exemple le jour où est sorti ton livre : Le rouge et or. A la signature du livre, un peu gêné, tu dis : Oui alors, cela me rappelle que lorsque j’ai écrit Le rouge et or qui est un livre sur les théâtres à l’italienne, Monique, ma femme, écrivait en même temps un livre sur Antonin Artaud. Il n’aimait pas du tout la structure à l’italienne Artaud, mais moi…. … J’aime toujours ma femme…
GEORGES
C’est vrai…
SERGE
Un autre jour tu nous expliques pourquoi tu préfères le football au Rugby…
(Un temps)
GEORGES
Oui et alors ?
SERGE
Parce que tu connais les règles, tu ne peux pas voir un spectacle sans un minimum de règles, ton horizon d’attente est large, parfois même conciliant, mais si tu ne connais pas un minimum de règles le plaisir ne vient pas. Ton oui alors c’est comme L’angoisse du gardien de but au moment du pénalty…
GEORGES
Incroyable ce petit carnet, ça me met la pression maintenant…
SERGE
Quelle pression ?
GEORGES
Il faut que je sois à la hauteur du personnage que tu construis… Maintenant quand je raconte une histoire, je sais que tu es là, tu notes…
SERGE
Oublions ça, reste naturel.
GEORGES
Ça me rappelle un acteur qui un jour m’a raconté… Tu vas le noter ?
SERGE
Allez, je range le carnet
GEORGES
Quand il n’aimait pas la proposition d’un metteur en scène, même si elle était bonne il la jouait très mal pour la rendre inadaptée…
SERGE
Tu as voulu être acteur…
GEORGES
Au début
SERGE
Tu aimes toujours autant les acteurs ?
GEORGES
Oui
SERGE
C’est l’essentiel. Quel type d’acteur tu étais ?
GEORGES
Peu importe… Quand un spectacle me parle, je ne peux séparer l’acteur et le personnage. La qualité du jeu en situation. L’accomplissement est lié à cette coexistence d’un être réel et d’un être fictif. Même quand c’est du théâtre sans personnage je crois qu’on arrive à percevoir la qualité d’implication d’un acteur, on arrive à saisir la charge humaine de cet acteur. Parfois on a une confiance absolue dans ce qui émerge de sa présence. Je crois que je suis sensible à cela et quand quelqu’un n’est pas sensible ça m’énerve.
SERGE
Les bons spectacles poétisent ton discours Georges.
GEORGES
Oui une poésie construite par l’homme devant moi. Au fond, cher serge, le spectateur c’est l’ombre de la scène, l’homme sans ombre est un homme mutilé. La scène a besoin de cette ombre.
SERGE
Je peux le noter
GEORGES
Ce n’est pas drôle…
SERGE
C’est sensible
GEORGES
Alors, oui….
Fin