Nous vous invitons à découvrir Échappée vieille du TOF Théâtre (Belgique) en tournée française Théâtre de Laval,Festival Ideklic à Moirans en Montagne (39), Chalon dans la rue OFF…
Et à retrouver cet article dans le N° 148 d’Alternatives théâtrales, consacré aux arts du cirque, de la marionnette et à la création dans l’espace public.
En 1987, Alain Moreau fonde le Tof Théâtre. Le metteur en scène, constructeur, auteur, marionnettiste a monté près de trente spectacles, avec une patte qui rend ses œuvres immédiatement identifiables, malgré la diversité des formats adoptés. Le spectacle Échappée vieille, création de 2021, illustre plusieurs aspects de son travail.
Ce spectacle de marionnettes met en scène l’histoire de trois septuagénaires qui décident de goûter à la liberté, plutôt que de rester dans leur pension de retraite sous la surveillance d’une infirmière particulièrement autoritaire. Une forme de course poursuite du troisième âge s’engage, sur fond de sea, sex and sun décalé.
Il faut souligner que cette proposition est conçue pour l’espace public, puisqu’elle joue dans une remorque aménagée. Ce dispositif techniquement autonome a été élaboré pendant le confinement, et peut se poser presque n’importe où. Dorothée Schoonooghe, l’une des interprètes, en témoigne : « On avait envie de rouvrir tout ce qui était fermé : la première chose c’était le théâtre, mais comme on ne pouvait plus jouer en intérieur, la rue s’est imposée. » La compagnie a l’expérience de la création en espace public. Là où J’y pense et puis… employait déjà une remorque en installant le public à l’intérieur, Échappée vieille place le public sur un gradin, la remorque servant de castelet.
La liberté, thème structurant du spectacle, fait ainsi écho à celle de l’artiste qui joue où et quand il le décide, pour tous les publics. Ce souffle libertaire se traduit aussi par un humour irrévérencieux qui met à mal les figures d’autorité – ici, le personnage de l’infirmière. Positionnement doucement anarchiste et humour sont également caractéristiques du travail de la compagnie.
L’aspect visuel du spectacle et des marionnettes est également un élément typique du travail du Tof Théâtre. Il faut signaler que Échappée vieille est muet, à l’instar de la plupart des pièces de la compagnie.
Du point de vue de la construction, on retrouve dans Échappée vieille une économie de moyens qui n’est pas une pauvreté mais une élégance, celle de la simplicité. Comme dans les autres spectacles du Tof Théâtre, ce sont des objets et des matériaux du quotidien qui sont mis en œuvre, sans ostentation, d’une façon artisanale. Rien dans l’aspect du spectacle n’est propre à intimider, surtout pas les marionnettes qui ont une expression amicale et accueillante.
Leur facture tend vers ce qu’on pourrait appeler un « réalisme poétique ». En effet, elles ont des visages riches en détails, mais leur dessin a quelque chose de caricatural, et Alain Moreau ne recherche pas l’hyperréalisme : même quand les marionnettes sont à taille humaine, leurs yeux sont peints, et la finition de la peau lui donne un aspect vernis. Ce mi-chemin entre ressemblance et pas de côté assumé en dehors du réalisme ouvre un espace de poésie. Trois marionnettes sont ici grandeur nature, portées à même le corps des marionnettistes, comme c’est le cas dans d’autres spectacles comme Les Bénévoles – auquel deux des marionnettes sont d’ailleurs empruntées. Mais on le retrouve également dans les marionnettes de petite taille qui sont utilisées pour organiser une pièce de théâtre à l’intérieur de la pièce de théâtre. « Ce sont des marionnettes qui manipulent d’autres marionnettes à leur effigie qui racontent leur histoire supposée », explique Alain Moreau. Les interprètes négocient avec habileté cette manipulation gigogne, qui exige une attention démultipliée et une précision de mouvement très fine.
D’autres aspects encore du spectacle Échappée vieille pourraient être soulignés, tel le choix d’un format court, ou le choix de personnages âgés. De même, on pourrait approfondir son inscription dans la sensibilité politique et sociétale qui anime la compagnie. Mais l’essentiel est sans doute de dire qu’il s’agit d’un spectacle qui fait du bien : jouissif, participatif, inclusif, ébouriffant, il est vecteur de plaisir, de convivialité en même temps que de réflexion.