Nous avons le plaisir de publier la version intégrale de ce texte de Laurie Bellanca, publié dans la revue d'Alternatives Théâtrales #142 : Bruxelles, ce qui s'y trame
En écrivant aujourd’hui cet article au sujet du travail de Léa Drouet*, que j’assiste depuis la création de Boundary Games (2017), je mesure à quel point ses hypothèses de création nourrissent une attention particulière à prendre soin de ce qui l’entoure. Hypothèses organisées par des interprètes agissants dans leurs rapports et sur l’espace dans Boundary Games ou par une parole solitaire, habitée par ses fantômes et son besoin de justice dans Violences ou encore incarnées par la prise de risque d’un groupe de skateurs avec Mais au lieu du péril croit aussi ce qui sauve et par l’occupation errante d’une gare désaffectée dans Déraillement ou depuis peu par le dessin d’un lieu de théâtre au 210, Léa Drouet n’a de cesse de vouloir penser et panser ce qui la travaille intimement. Et ceci se résume – s’il fallait introduire notre dialogue par sa fin car il semblerait depuis quelques mois que prendre les choses à rebours serait sans doute une manière saine d’éviter le piège du confortable lieu de la conclusion aveugle – j’introduirai donc notre échange par cette phrase de Léa : « il s’agit de faire confiance à ce qui nous touche ».
Ce qui touche Léa a tout à voir avec la volonté de remettre de la vitalité aux fixités malheureuses dans lesquelles nous nous tenons parfois. Des problématiques migratoires à celles des assignations identitaires, des affects tristes aux sentiments d’impuissance, des désirs d’hospitalités face aux inconforts de l’altérité, de l’amour pour l’intelligence collective confrontée aux conditions liberticides, sa recherche prolonge son engagement et pose une forme d’activisme délicat dans le champ qui lui est propre, l’espace théâtral. Espace qu’elle ouvre et déplace du plateau (Violences) à la rue (Squiggle, performance-conversation dans l’espace public à Athènes), de l’atelier (Boundary Games à Nanterre-AMandiers) au Skate Park (Mais au lieu du péril croit aussi ce qui sauve, KFDA).
Ce désir de déplacement et d’attention à ce qui demeure affecté en elle n’est pas un leurre d’empathie pétrie de bonnes intentions ou de douceur recouvrante mais bien au contraire une attention politique claire et attachée à la puissance de renversement possible de nos regards et de nos gestes.
Faire confiance à ce qui nous touche dans la manière dont nous pouvons supporter le monde dans toute la polysémie de ce verbe. Faire confiance à nos seuils d’intolérance. Faire confiance aux points inconfortables qui persistent dans l’inquiétude et leur tirer les vers du nez avec le plus de précision possible.
J’emploie cette image sans innocence, car oui il s’agit à mon sens de pensées en forme de parasites, d’habitantes, de ce qui grouille en nous de soulèvement comme de gêne au lieu-même de nos vitalités, de nos maladies sociales, de nos plaies politiques, de nos histoires de famille et de celles des autres qu’on aimerait voir se rassembler ou au contraire se diluer, de ces murs qui hantent, empêchent, concentrent et divisent à la fois, de ces héritages troubles ou vidés par le poids des silences, de nos obsessions à déconstruire pour tenir puis re-construire si possible ou simplement laisser vivre.
Autrement dit, c’est la considération des paradoxes faisant nos vies contemporaines (et l’actualité le crie plus que jamais) que Léa Drouet se propose de traverser et de questionner avec les spectateurs.
Nous, nos, notre… comme autant de termes me permettant d’écrire ici à quel point ce que Léa Drouet cherche dans son écriture du plateau est d’une profondeur qui se partage et s’expérimente car ce dont elle « parle », pourquoi et avec qui elle « parle » pourrait bien être un « nous » en forme de question.
Ce « nous » questionné, exposé, renversé et en dialogue avec la pensée de Camille Louis, dramaturge des dernières pièces de Léa Drouet et co-fondatrice du collectif kom.post, n’a rien de complaisant. Il mène au contraire dans les zones délicates de l’expérience du dissensus et de l’apparition des singularités au lieu-même du commun. Particularité qui opère d’ailleurs tout autant sur le plateau qu’à son alentour, c’est à dire dans les modes même d’invention et de dialogue que rend possibles – encore- la création artistique, des premières pierres de l’écriture au partage avec les spectateurs.
Savoirs, savoir-faire, intuitions, affects et émotions ont ici la place de se croiser et de s’épaissir les uns les autres. C’est un savoir bien particulier que celui de la mise en scène chez Léa Drouet car il appelle l’implication responsable de chaque singularité qu’elle convoque, de la création musicale (Èlg, Yann Leguay, Jean-Philippe Gross, David Stampfli) à la scénographie (Élodie Dauguet, Gaëtan Rusquet) en passant par la dramaturgie (Camille Louis), la lumière (Gégory Rivoux, Léonard Cornevin, Mathieu Ferry), l’administration (France Morin), l’assistanat mais aussi l’implication singulière des spectateurs eux-mêmes (assis sur des praticables en archipel, déambulant dans une gare ou participant à une conversation à l’intérieur d’une cabane en construction).
Cette confiance partagée fait aujourd’hui écho à ce qu’un fonctionnement politique pourrait avoir de précieux; il ne s’agit pas d’être au service d’une personne mais plutôt de placer un « objet » au centre, autour duquel chacun peut s’inscrire. Cet objet comme on le verra plus tard pourrait d’ailleurs être une oeuvre, une lutte, une action…. Les pièces de Léa ne s’attachent pas à « parler de » ou à « parler sur » mais bien à « parler avec » quitte à ce que le rapport soit problématique. Et dans cette forme de collaboration, le processus d’écriture se trouve alors aussi important que l’objet produit et vient l’inscrire dans un rapport précis, sensible dont la charge affective, émotionnelle est semblerait-il inextricable des faits convoqués. Elle vient même soutenir la spécifité des faits en question, leurs complexités et leurs paradoxes. Il n’y a pas d’évidence chez Léa Drouet mais une lutte qu’elle nomme volontiers comme étant en premier lieu une lutte contre ses propres contradictions.
Camille Louis décrit ainsi sa dernière création Violences: « Léa Drouet s’attache surtout à nous faire passer de l’autre côté des gros intitulés…elle nous conduit sur le bord des images de la violence telles qu’elles sont agencées pour nous choquer et, nous sidérant, nous empêcher non seulement d’agir mais déjà de sentir. Résister à l’assignation à la passivité commence peut-être ici : pouvoir éprouver et expérimenter. Reprendre l’expérience de la violence non plus seulement en tant qu’elle est subie par les uns et exercée par les autres, mais en tant qu’elle nous traverse tous et chacun. La violence n’est pas que le lot d’un pouvoir qui nous rend impuissants. Elle est aussi une puissance que nous pouvons déployer pour reprendre des capacités de voir, d’agir et de vivre autrement. Seule en scène, Léa Drouet commence par suivre le parcours de sa grand-mère Mado qui, petite fille, dut traverser des champs et des routes pour échapper à la rafle du Vél d’Hiv’. À partir de là, la metteuse en scène retrace la traversée des frontières qui conduit aujourd’hui d’autres enfants à perdre la vie. Dans les interstices qui séparent les morts que l’on compte de toutes les morts qui ne comptent pas, elle tente de recomposer des mémoires ainsi que des histoires pour l’avenir. »
Pour créer cette pièce Léa Drouet n’a pas rassemblé seulement des collaborateurs artistiques mais aussi des interlocuteurs avec lesquels un dialogue a introduit la recherche et par là a « fait bouger » les premières intuitions. Est apparue alors une constellation de récits issus de conversations avec un journaliste, des activistes, une avocate, sa grand-mère… dans laquelle Léa et chacun des dialoguants ont établi une relation d’égalité, toutes et tous étant détenteurs d’un savoir qui leur était spécifique, leurs propres histoires.
« Je ne peux me rapprocher d’une histoire ou d’un sujet que si je rencontre des gens. Tout le début des créations se passe avec des conversations depuis plusieurs projets. C’est un peu une condition nécessaire. Le projet de pièce est finalement un prétexte pour aller à la rencontre de celles et de ceux que j’ai envie de découvrir. Il devient rapidement un objet transitionnel[1] entre nous. C’est pour moi une façon d’entrer en relation qui me permet d’apprendre d’une part mais aussi de créer un rapport d’égalité, « J’aimerais que tu me racontes ton expérience, elle m’importe ». Récolter la parole est une question d’Histoire. Quelle Histoire voulons-nous soutenir, défendre, articuler en donnant de la place aux histoires particulières qui ne sont pas forcément sur le devant de la scène théâtrale ni politique. Quand on me raconte l’histoire de Mawda ou celle de ma grand mère, il s’agit toujours de combler les trous de ma propre histoire. Dans les histoires familiales, on nous transmet des choses floues, trouées, imprécises dans lesquelles il y a toujours des manques. Quand tu t’attaches à écouter ce que l’autre a à te dire, quand tu dépasses ça et que tu vas chercher du détail dans les faits alors tu reconstitues, tu re-construis tout en inventant ta propre histoire. D’un coup tu ne te devines plus l’héritier flottant d’une histoire trouée mais au contraire, tu reprends les choses en mains. Et tu sens dans ta propre existence que ca dégage de la puissance. C’est pareil avec les histoires médiatiques; tu n’es plus témoin impuissant inactif d’histoires violentes que tu reçois par bribes mais tu commences à combler les trous comme une enquêtrice en rencontrant des personnes pouvant m’accompagner dans cette recherche. Tenter de raconter l’histoire dans le détail me donne l’impression d’avoir une prise sur le réél et de pouvoir entrer dans une autre façon de regarder les choses. La démarche n’est pas documentaire elle est plutôt informée par le dehors et prend comme première étape de travail l’écoute de la parole de l’autre, autrement dit un premier déplacement. Par l’accueil d’un récit qui m’importe. »
« Se mettre à l’écoute en se disant, je veux que ça soit le futur »
Léa Drouet
« La question du document m’est familière grâce au travail que j’ai pu mener avec Adeline Rosenstein (Décris-Ravage, Poison) cela m’a permis de comprendre l’importance d’être attentive à ce que je faisais de la parole de l’autre et comment les paroles des autres me font parler. J’ai développé une sorte de philosophie de la vibration, en moi quelque chose vibre avec la parole de l’autre. C’est un travail instinctif de ce qui entre en écho avec des choses auxquelles je suis sensible. Avec Camille on a porté une attention particulière à travailler ce qui se joue dans les endroits qui nous touchent. Faire confiance à ce qui me touche, il y a là-dedans un secret à dégager, une zone d’ombre qui m’interresse. Ce n’est pas pour rien que cette situation, histoire ou problématique résonne en moi. C’est réjouissant car c’est une forme de savoir dont on a pas l’habitude; aller récolter des histoires en laissant du sens apparaitre, je pensais que ce n’était pas suffisant. Camille m’a appris que même les chercheurs utilisent ce genre de méthodologie; le fait d’être touché par quelque chose comme départ de pensée, les émotions peuvent être un élan suffisant à la recherche qu’elle qu’elle soit »
D’une part il y a donc ce désir de rapprochement et d’un autre côté celui du décadrage qui viendra parfaire le geste d’écriture et évidemment celui de sa mise en forme.
« Plus il y a du creux plus il y a du vide plus il y a de la place pour les gens »
Léa Drouet
La dramaturgie de Violences repose sur un rapport de douceur entretenue entre les spectateurs et la comédienne (Léa elle-même en l’occurrence), entre la comédienne et la scénographie. Un champ d’opposition nécessaire à la proximité du texte.
« Dans Violences on s’approche d’une histoire tragique qui est celle d’une petite fille de 2 ans qui s’est faite tuer par un policier belge d’une balle dans la tête. Ce n’est pas simplement le fait qu’elle soit morte qui est violent c’est aussi tout le récit de cette nuit là et de ce qu’on a fait des gens qui ont assisté à ce crime. C’est un assassinat d’état … Un dérapage de policier mais aussi une violence structurelle qui est en fait encore plus grave que la bavure. Quand on raconte cette histoire dans l’ordre chronologique, on se prend une bonne claque et la douceur est LA condition de réception de l’histoire. D’abord pour créer les conditions d’écoute à ce type de récit et pour le dire naivement ouvrir son coeur dans cette écoute. Il faut être dans un endroit où on ne va pas etre agressé par cette histoire mais la recevoir délicatement. C’est aussi pour moi une facon de prendre soin et d’etre délicate avec ces histoires »
« La douceur est politique. Elle ne plie pas, n’accorde aucun délai, aucune excuse. Elle est un verbe : on fait acte de douceur. Elle s’accorde au présent et inquiète toutes les possibilités de l’humain. »
Anne Dufourmantelle, La puissance de la douceur
Pour Léa: « Il y a une puissance énorme de la délicatesse et de la douceur. Quand tu dénonces la brutalité en étant brutal il y a pour moi un problème de dramaturgie […] pour m’approcher d’une chose j’ai besoin qu’elle ne m’agresse pas »
Quand je lui évoque ensuite le cartactère subversif de son travail, elle préfère répondre ainsi: « On est dans un climat où il n’en faut pas beaucoup pour sembler être critique vis a vis des états. Il est admis dans l’Histoire de l’art que les artistes sont là pour problématiser des questions politiques mais je ne mesure pas – sauf en citant dans Violences un homme d’extrême droite pour dire qu’il fait une politique migratoire raciste – à quel point je suis subversive. Par contre, si la subversion est liée à une forme d’inconfort, de tremblement, de ne pas aller voir un spectacle qui va nous rassurer sur les choses qu’on pense déjà, alors il y a une sorte de volonté de subversion, mais je ne sais pas …»
Et préciser en me renvoyant à une autre problématique:
« Il y a une sorte de guerre de récit, une guerre de narration
Si je peux participer à cette guerre alors j’en suis !
Avec comme objectif de changer d’axe, d’avoir une autre manière de percevoir.
Avant et après notre passage dans la salle il y a vraiment la possibilité de dire que d’autres portes peuvent s’ouvrir dans la manière de penser. Comment d’autres possibles sont à envisager ? En contredisant le fait qu’il n’y a pas d’alternative et en étant attentive aux récits et aux actes qui déjouent l’Histoire dominante. Si mon travail d’artiste est celui de faire remonter à la surface certains types de récits qui ne sont pas les plus entendus mais qui existent, les solidarités autres, les résistances alors dans ce sens là je suis plus activiste que subersive. Je participe à la guerre des récits »
« Rentrer dans la politique par le prisme de la représentation, c’est commencer à comprendre que de toutes façons les changements politiques sont des changements d’imaginaires. Nous pouvons retrouver le sens de notre métier là dedans.
Tania Zitoun, psychologue du développement avec laquelle j’ai mené une conversation lors de la création Boundary Games m’a dit ceci: « Nous avons notre travail à faire dans la modification des récits qui circulent, des représentations et des esthétiques qui circulent car ça agit, c’est agissant… ». Amener sur les plateaux des récits, des corps, des esthétiques qui nous semblent trop périphériques, par rapport à une sorte de centre qui dominerait c’est participer à un changement d’imaginaire […] Et si c’est la mode et bien tant mieux ! Tant mieux que la mode soit au collectif organisé de manière non pyramidale avec une parité et une sensibilité […] Et ensuite ça bougera et on bougera encore. Je n’ai pas de problèmes à être en guerre des récits. Des batailles il y en aura toujours et elles changeront. Je n’ai pas de problème non plus avec le fait que ça tourne autour de la fiction, des histoires qui font bouger le monde. À force de les raconter, peut-être ces histoires vont devenir vraies. En terme de stratégie de lutte et tout en restant à sa place, l’endroit de la représentation c’est notre endroit à nous »
Pour clore, une citation de Marie-Josée Mondzain lors des Rencontres Mondes Possibles organisées à Nanterre-Amandiers en 2018 par Camille Louis avec Léa Drouet, Milo Rau et la Winter Family:
« Dans le travail de Boundary Games (comme dans celui de Milo Rau) j’ai vu cette capacité de présenter le terrain d’un conflit, d’une souffrance mais sous le régime de ce que Edouard Glissant appelle la question de la relation. C’est à dire que ce qui se passe fait circuler des contradictions, des contradictions qui ne sont pas des lieux de disjonction, d’écarts infranchissables entre des bourreaux et des victimes, entre des continents, entre des pays, entre des cultures […] Ce que j’ai vu hier soir, dans cet espace, c’était précisément non pas l’unisson d’une population de victimes trainant ses couvertures entre le jour et la nuit et entre le silence et le bruit pour nous faire comprendre uniquement la dimension ou le caractère unidimensionnel et centré de la souffrance, non. C’est entre eux-même, entre les couvertures et entre les corps qu’il y avait une véritable chorégraphie dialectique qui faisait qu’il pouvait même y avoir des disjonctions, des différences absolues, ce qui se jouait c’était la métamorphose des espaces, la métamorphose des identités, les moments de rassemblement de disjonction, les gestes de survie, les gestes d’aide et les gestes de mort. C’est à dire que là, tout d’un coup, ce que vous appelez l’art, ce que vous avez nommé comme geste d’art consiste précisément à remettre en circulation ce qui ne circule plus du fait des régimes dictatoriaux de la disjonction, qui sont des politiques de la haine. Il ne s’agit pas si effectivement le théâtre de Milo Rau ou de Léa Drouet ne met pas en scène soit la pure victime, soit la répulsion et la haine que doit inspirer le criminel, c’est précisément parce que devenir criminel c’est pas un petite affaire dans l’histoire d’une souffrance subjective . […] Je parlais d’Edouard Glissant il y a quelques instants, car en plus il est vrai que par la dramaturgie, ce qui s’est passé chorégraphiquement et dans les sonorités devant moi me faisait penser à cette dimension archipélique dont parle Glissant. Ce sont des îles, c’est une dispersion et en même temps ce sont des transformations du paysage, des métamorphoses du corps. On est tout le temps dans un passage, rien ne s’arrête jamais. Et je crois que ce qui est très beau dans un geste d’art, théâtral, puisque nous parlons de la scène théâtrale ici, c’est le fait qu’il nous oblige à ne jamais nous arrêter pour désigner, identifier, épingler… et nous identifier d’ailleurs à une des parties car s’identifier à la victime, c’est à dire prendre la parole à la place de celui qui ne l’a pas « il ne l’a pas je vais la lui rendre » en parlant en son nom, en prenant la parole pour lui, non. Donner la parole c’est savoir se taire, c’est se mettre à l’écoute non seulement de la parole de ceux à qui on la donne mais se mettre à l’écoute de leurs silences. Il y a quelque chose à entendre dans leurs silences. Et ce n’est pas en en parlant et en papotant de la façon la plus bienveillante que l’on croit, la plus humaniste que l’on croit, que l’on va se mettre en situation de véritablement entendre ce qui est occupé par une parole silencieuse dans un corps soumis à l’exclusion, à l’exil, à la souffrance et à la mort.
Après avoir vu votre travail que je voyais pour la première fois, j’ai repris chez moi ce matin le livre de Glissant « poétique de la relation ». La relation c’est l’objet de la création, les gestes d’art sont précisément, spécifiquement et singulièrement les gestes qui remettent en circulation, qui permettent de renoncer aux identités, de renoncer aux injonctions et de considérer qu’une poétique des conflits c’est le contraire d’une stratégie des contradictions et des exclusions. Une poétique des conflits, c’est ce qui remet en circulation précisément le fait qu’il y a du mort chez le bourreau et une puissance de vie et d’espoir chez la victime et que ça fait partie de ce que le geste d’art met en scène ; refaire vivre les morts, nous redonner espoir en nous rapprochant des spectres. »
* Léa Drouet est metteuse en scène et comédienne, elle vit et travaille à Bruxelles depuis 2010. Son travail prend différentes formes et circule entre l’installation, le théâtre et la performance (création 2020 Violences - Actoral / Les Amandiers / KFDA). Elle vient d’être nommée à la coordination théâtre de l’Atelier 210 de Bruxelles.
[1] Léa Drouet se réfère ici au travail de D.Winnicott, pédiatre et psychanalyste ayant développé la notion de phénomène transitionnel, partant du principe que « l’acceptation de la réalité est une tâche inachevée, qu’aucun être humain n’est affranchi de la tension que suscite la mise en rapport de la réalité intérieure et de la réalité extérieure… » (Jeu et réalité). Winnicott y développe la fonction de l’objet transitionel, support d’attachement intermédiaire et de fantasmes fondateurs.