Sarah Vanhee nous lance des signes que nous pourrions attraper par la main

Sarah Vanhee dans Oblivion, mise en scène Sarah Vanhee, création novembre 2015 à Campo Victoria (Gand). Photo Bernhard Müller
Sarah Vanhee dans Oblivion, mise en scène Sarah Vanhee, création novembre 2015 à Campo Victoria (Gand). Photo Bernhard Müller

Après une longue période de recherche théorique et de terrain, le nouveau projet de Sarah Vanhee, Bodies of Knowledge (BOK), qu’elle mène de front avec ses collègues Flore Herman et Nadia Mharzi et en collaboration avec de nombreux·ses acteur·rice·s locaux·les, prendra place à l’intérieur d’une tente nomade qui sera installée les prochains mois dans différents quartiers de Bruxelles, annonçant « this is a place for learning together ». BOK s’attache à l’idée que les circonstances dans lesquelles on partage les savoirs sont aussi importantes que le contenu-même des savoirs qui s’échangent. Sarah Vanhnee fait partie de ces artistes bruxelloises qui questionnent sans cesse le rapport à la domination (patriarcale, coloniale et autres) qui se niche dans chaque mot, relation, situation, qu’elle apparaisse dans un contexte quotidien, artistique ou pédagogique. Elle se/nous demande: “comment nous parlons-nous? comment partageons-nous nos idées, nos connaissances ?” Et puisqu’elle nous invite sans cesse à nous emparer de ses réflexions, en ces temps incertains où nous marchons sur des œufs cassés que nous ne sentons plus car un virus invisible nous a coupé l’odorat et le toucher, je nous invite à prendre les projets que Sarah Vanhee mène depuis 2007 comme des signes psycho-anarcho-magiques en esquissant un horoscope de la saison à venir, comme si une stagiaire en formation chez Rob Brezsny contemplait les états du spectacle vivant pour déboussoler le futur.

HOROSCOPE 2021

BÉLIER

Bodies Of Knowledges (2020) est un projet aux mille facettes qui se pense comme un safe space. La prise en compte de la façon dont chacun·e pourra s’exprimer à l’intérieur est primordiale. Pour se faire, le projet se repense sans cesse, n’hésitant pas à changer sa structure pour accueillir les besoins des nouveaux·elles arrivant·e·s. Aujourd’hui, de nombreuses structures, notamment pédagogiques, incitent à l’analyse critique des institutions, mais pour autant ne l’appliquent que rarement à elles-mêmes. La force des projets de Sarah réside notamment dans cette capacité à intégrer les outils de l’analyse critique dans le projet-même afin de tenter de faire apparaître et de désactiver les enjeux de pouvoirs présents dans les gestes comme dans le langage. 

Cher.e Bélier, je t’invite à imaginer pour cette année à venir les outils d’autocritique qui te permettront d’appliquer à toi-même ce que tu questionnes chez les autres. Des portes inattendues, doucement et curieusement introspectives devraient s’ouvrir à toi. N’hésite pas à impliquer des herbes, des fruits et des feuillages dans la fabrication de ces outils.

GÉMEAUX

Quand je discute avec des artistes de leurs « projets », en arrière-pensée je me demande souvent : « Mais est-ce qu’iel va bien ? Est-ce qu’iel ne travaille pas trop en ce moment ? » Je m’interroge souvent sur le fait que les artistes qui travaillent sur les conditions éthiques d’organisation du travail ne semblent pas appliquer ces conditions à elleux-mêmes. Iels frôlent souvent le burn-out et, malgré qu’iels les dénoncent, ne semblent pas résister aux charmes des conditions (souvent) déplorables qui vont de pair avec le fait d’être un.e « prolétaire intellectuel.le », pour reprendre le terme d’Emma Goldman. 

Je t’invite, Gémeaux, à te poser cette question : « Est-ce que je me respecte autant que je respecte mon travail ? », et je te propose de choisir une personne de ton entourage à qui tu demanderas d’être ta marraine ou ton parrain professionnel.le afin qu’iel veille à ta santé mentale pour l’année qui s’en vient.

TAUREAU

Dans Bodies of Knowledge (2020), Sarah Vanhee invite des individus sans expertise particulière dans une tente nomade, installée à différents endroits de Bruxelles, pour partager un savoir, quel qu’il soit, sans que celui-ci soit lié à sa fonction officielle. L’une des idées sur laquelle s’appuie Bodies of Knowledge est le concept de « sentipensar » ou « sensingthinking » développé par la professeure mexicaine Xóchitl Leyva Solano et qui convoque « d’autres pratiques de la connaissance », qui peuvent par exemple prendre la forme d’une pratique physique. 

Taureau, quelles sont les connaissances « sentipensar » que tu aimerais partager dans un futur proche? C’est le moment de noter sur un papier ayant déjà servi six choses, six choses que tu serais heureux.se de partager prochainement avec ton entourage et de les considérer comme des savoirs qui importent.

CANCER

Pendant un an de vie et de travail, Sarah Vanhee a essayé de ne rien jeter. De novembre 2014 à novembre 2015, elle a gardé toutes les traces de sa vie, matérielles et digitales, des spams aux vêtements usés jusqu’aux mauvaises idées. Elle a considéré chaque chose comme quelque chose. Puis elle a essayé d’écouter ce que chacune de ces choses avait à lui dire. Et elle a transformé tout cela en une performance intitulée Oblivion. Dans sa nouvelle pièce, “Warm up”, l’artiste québécoise Mykalle Bielinski s’impose comme contrainte de fabriquer un spectacle uniquement avec l’énergie qu’elle peut produire sur scène.

 « Imagine un endroit où tu te trouverais reconnecté·e à tout ce que tu as jeté, supprimé, effacé, mis à la poubelle. Objets, pensées, relations » nous dit Sarah. Et imagine que c’est toi, cher.e Cancer, qui devrais générer l’énergie pour fabriquer tout ce que tu possèdes. Quelles choses garderais-tu du passé et du présent ?

LION

« Cher.e.s directeur.rice.s, puis-je organiser un concert de cris dans votre prison ? » Ainsi débute le projet de Sarah Vanhee dans les prisons de Malines en 2013. “Je voulais composer une partition, ensemble avec les prisonnier·ère·s, où ils crieraient, où ils pourraient crier, chacun·e depuis sa cellule, dans les trois ailes du bâtiment. Cela ferait vibrer la prison et les cloches de la chapelle”. I Screamed and I Screamed and I Screamed brise le silence des corps et dénonce les mécanismes de contrôle et de normalisation qui opèrent à l’intérieur et à l’extérieur des centres de détention. Le corps invisible reprend sa voix et sa force. Pendant le confinement d’avril-mai 2020, nous étions invité.e.s chaque soir à taper sur des tambourins à nos fenêtres pour encourager le personnel de la santé. Certains soirs je criais ma colère face à l’inaction des gouvernements et à la violence de cette situation nouvelle et de cet enfermement, même temporaire. « We should be angrier than we are », déclarait le titre d’un projet de Jozef Wouters au Kunstenfestivaldesarts en 2011 qui dénonçait l’extinction animale par les humains. 

Lion, Lionne, c’est sûrement le moment de lâcher les applaudissements pour faire surgir le cri qui appartient à ta constellation animale. Où est ta colère ? Qu’en fais-tu ? Je t’invite cette année à partager tes cris insoupçonnés avec des personnes inattendu.e.s et dont les cris pourraient résonner avec les tiens.

VIERGE

Après avoir développé et présenté ses projets aux quatres coins du globe, Sarah Vanhee souhaite de plus en plus s’investir dans des projets qui se composent avec les habitant.e.s. locaux.ales de la ville où elle vit, en l’occurrence Bruxelles. Le marché de l’art est basé sur la vente ou sur la diffusion des œuvres mais il semble qu’il faille réinventer aujourd’hui son fonctionnement. En mai dernier, Actiris, l’équivalent du Pôle emploi français, envoyait des messages pour inciter les chercheur.euse.s d’emploi à réfléchir à une reconversion dans une « activité essentielle ». Plutôt qu’à une reconversion, peut-être pouvons-nous tisser de nouveaux liens entre les métiers, les occupations et les activités ? Apprendre la plomberie tout en écrivant des poésies ? Faire du pain au charbon. Construire des maisons en sucre glace. 

Vierge, profite de ces périodes de grands questionnements pour t’imposer des quarantaines en zone verte. Dans la semaine qui vient, arpente et considère la ville comme ta forêt, fais du paddle sur ton canal comme s’il était ta rivière, sois grande touriste dans ta propre ville, marche, marche et à un moment-clef, prends une décision.

I screamed and I screamed and I screamed, installation vidéo et performance de Sarah Vanhee, création à la Biennale Contour (Malines) en 2013. Photo Contour
I screamed and I screamed and I screamed, installation vidéo et performance de Sarah Vanhee, création à la Biennale Contour (Malines) en 2013. Photo Contour

BALANCE

Dans Untitled (2012),des habitant.e.s nous font entrer dans leur maison comme on entrerait dans un musée, en nous présentant des objets de leur maison qu’ils considèrent être de l’art. Une peinture de feu leur grand-mère, un dessin d’enfant, une décoration florale… 

Chère Balance, je t’invite à te promener dans ton habitat, à observer les objets de ton quotidien pendant trente-trois minutes et à en choisir dix que tu considères comme des œuvres d’art. Dans les prochaines semaines, expose-les sur un socle avec des cartels dans la pièce de ton choix. Profites-en pour ouvrir ta porte à des voisin.e.s inconnu.e.s, lors du vernissage.

SCORPION

Sarah Vanhee a commencé à travailler sur Bodies of Knowledge (2020) en réfléchissant aux conditions éthiques d’apprentissage dans lesquelles elle aimerait que son fils puisse évoluer et dans quel environnement pédagogique elle aurait elle-même voulu grandir. « Les écoles d’art devraient être capables de travailler sur leur accessibilité comme lieu de rencontre, augmentant ainsi leur pertinence sociale », nous dit Sarah Vanhee. Au départ de la performance, un petit livre d’apprentissage est conçu et il recueille plusieurs questions basiques comme : « Qu’est-ce que tu voudrais désapprendre ? » « Quels sont les moments d’apprentissages que tu n’oublieras jamais ? » 

Il contient aussi des questions tournées vers le futur, dont une que je t’invite à te poser, ami.e Scorpion : «Quels sont les rituels (ou connaissances) du passé que tu aimerais (ré)apprendre cette année ? »

SAGITTAIRE

En février 2020 avait lieu une occupation à Le Space, laboratoire culturel autonome et décolonial à Bruxelles, contre sa fermeture forcée liée à des problèmes de discrimination raciale et à l’inflation des loyers dans un quartier en pleine gentrification immobilière, quelques mois après que sa cousine parisienne, La Colonie, ait dû elle-aussi fermer ses portes. Sarah Vanhee, qui mène depuis plusieurs années une recherche sur le cri – qu’elle collectionne dans Collected screams (2019)et expérimente dans Undercurrents (2019) –nous invitait alors à crier à l’extérieur du lieu rue Dansaert pour partager nos ressentiments de l’instant, revendiquant le cri comme “un outil, une arme, une réparation instantanée, une expression de souffrance, d’excitation, de colère, de peur, de joie, ou d’impossibilité de dire”. Sarah Vanhee, comme de nombreux·ses autres artistes bruxellois·es qui s’investissent dans la défense de ces lieux qui prônent l’indépendance de la pensée, nous rappelle qu’ils sont nécessaires à la lutte sociale contre la domination et la discrimination. 

Dans le même temps, la crise pandémique a fait apparaître la soudaine possibilité pour certain.e.s de ne pas payer leur loyer ou de négocier autrement l’accès aux espaces. Sagittaire, en 2021 je vois qu’un lieu réclamera ton soutien, qui pourrait devenir en quelque sorte ton nouveau foyer de l’esprit.

CAPRICORNE

Sarah Vanhee s’appuie sur l’altérité comme puissance réparatrice de l’individu. La rencontre crée les conditions pour des discussions nouvelles et inattendues. Comment poursuivre des projets basés sur la rencontre avec l’autre dans un nouveau monde pandémique ? Comment continuer à se rencontrer sans mettre en danger les plus vulnérables ? L’artiste Anna Rispoli a rédigé en mai dernier des codes couleurs pour poursuivre l’échange tout en précisant la proxémie souhaitée : « Rouge : j’ai besoin que tout le monde porte un masque », « Jaune : je peux te serrer mais pas t’embrasser », etc. 

Je t’invite, Capricorne, à inventer ton propre code proxémique qui te permettra de ne pas renoncer à l’altérité mais de la bouleverser. Cela pourrait passer par un code vestimentaire basé sur la faune et la flore qui t’entoure. Déguise-toi en oiseau pour aller au bureau, rejoins un carnaval sauvage, crée ta propre marque de gel hydroalcoolique parfum mélisse-sapin.Quand tu entres dans une pièce, regarde chaque personne, l’une après l’autre, de près, puis de loin, puis de près. 

VERSEAU

Sur une scène, deux danseuses bougent très lentement, près du public, sur un fond de musique électronique minimale. Elles jouent au même jeu : premièrement elles nomment les choses qui sont présentes, puis elles commencent à nommer les choses qui sont absentes. “Il n’y a pas de micro, il n’y a pas de lumière en fond scène”, etc. En les nommant, les choses absentes deviennent présentes. Puis les corps prennent le relais pour tisser des images et troubler nos représentations des choses, des mots et de ce qui nous entoure. De quelle(s) réalité(s) parlons-nous ? 

Un soir, au mois de mai dernier, dans un parc, un homme plutôt âgé vient vers moi et me demande “qu’est-ce que vous avez perdu ces derniers mois?”. Assez vite, il répond lui-même “Je crois que l’unique chose que nous ayons perdu, c’est l’évidence”. Comme dans How They Disappeared (2008), une des premières pièces de Sarah Vanhee, permets-toi de réinventer, Verseau, la vraie place de l’absence et du vide pour te demander : «Qu’es-tu prêt.e à perdre ou laisser pour faire de la place ? »

POISSON

Dans « Lectures For Every One » (2013), Sarah Vanhee s’invite (elle ou un·e autre performeur·euse) en plein milieu de réunions de tout type et en tout lieu pour dire un texte, puis quitte la pièce comme elle était arrivée sans que personne ne sache qui elle est. Cela peut se passer dans la salle de meeting d’un hôtel de luxe, dans un conseil de ville, une réunion d’équipe d’entreprise, un club de foot, la répétion d’une chorale… Le texte consiste en un assemblage de fictions et de réflexions politiques et pose des questions sur nos capacités à vivre ensemble et sur l’état des communs dans nos sociétés. Il s’adresse autant à l’individu qu’au groupe d’individus. Pendant cette lecture « inattendue » par le groupe qui s’en saisit, une brèche dans le temps, un mystère émergent. 

Cher.e Poisson, je t’invite en 2021 à aller visiter des espaces de travail qui t’intriguent. Rappelle-toi du métier que tu envisageais de faire à l’âge de quatorze ans, va rendre visite à un.e menuisier·e, un·e jardinier·ère, un.e détective privé.e, des cadres supérieur.e.s. Hacke une réunion, un meeting, un repas.

Voilà le signe que Sarah nous lance, à nous, humain.e.s que nous sommes, tous astres confondus : provoquer des situations où nous nous trouverons nous-mêmes en position d’étranger.e. et y partager nos textes, nos récits, nos objets, nos odeurs, pour vaincre notre peur d’autrui et la troquer contre le cœur et la curiosité.

Sarah Vanhee est artiste, performeuse et autrice. Son travail interdisciplinaire voyage entre l’espace citoyen et le champ des arts institutionnels. 

Auteur/autrice : Mathilde Maillard

Mathilde Maillard est travailleuse, autrice, performeuse, cheffe de famille, opératrice-thérapeutique, chanteuse-chorale, militante. Elle travaille sur des dispositifs de rencontres en tous genres au sein de Club Travail.

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