Venu du cirque, passé par le théâtre, Claudio Stellato a eu envie, pour La Cosa, de prendre l’air hors des studios et de tester, pendant un an, le jeu avec divers matériaux. Il a essayé les pierres, les peaux d’animaux, les troncs d’arbres : il a choisi les bûches, pour leur légèreté et leurs infinies possibilités de démultiplication, et s’est entouré de trois acolytes.
Il sont donc quatre, hommes, adultes, bien habillés et, pendant près d’une heure, ils vont jouer avec quatre stères de bois, plus d’un millier de bûches et quelques haches, et se livrer à toutes les expériences possibles avec la matière présente.
On les voit ainsi se lover sous les rondins, s’écrouler sous leur poids, glisser entre les bûches et plonger avec fougue sur le tas de bois qui grossit au milieu de la scène. Si rien ne laisse supposer la tension ou la crainte qui habite les interprètes – les réactions du bois sont imprévisibles, se plaît à rappeler Stellato – le spectacle n’en est pas moins habité par le goût du danger et le flirt avec les limites. Pourtant, malgré sa virtuosité, cet objet étrange qu’est La Cosa résiste à la performance et au spectaculaire. La poésie et l’absurde qui l’imprègnent la rapprochent en effet plutôt du land-art et des rituels primitifs. Tout le talent de Claudio Stellato est ainsi de parvenir à faire ressentir la vie intime du bois, ses musiques, son odeur. Avec des moments de beauté brute : quand une pluie de copeaux explose dans le théâtre, on a l’impression d’entendre le bois pour la première fois. Ce lien organique passe aussi entre les interprètes, qui s’efforcent, se retiennent et se lâchent, ruent dans la masse ou déplacent avec minutie des millimètres de bûches, ensemble même quand ils sont contre. Certes, il y a bel et bien entre eux de la destruction fracassante, de viriles poussés et des élans rivaux, mais la chorégraphie que leurs mouvements composent a la douceur d’une danse amoureuse. Tantôt heurtée, tantôt fluide, rythmée par des grommellements indistincts, elle nous parle de l’irréductible amour qui noue la matière et les hommes. Amour barbare, logé du côté de l’enfance, là où joue l’âme mystérieuse des choses inanimées, là où nous jouons avec presque rien : Claudio Stellato le sonde avec passion, et c’est beau.
La Cosa, vu au Théâtre National Wallonie-Bruxelles Chorégraphie: Claudio Stellato Avec: Julian Blight, Mathieu Delangle, Valentin Pythoud, Claudio Stellato
à lire, en lien #80 Objet-Danse, octobre 2013