Tout a commencé par un confinement. L’intérieur domestique se faisait le réceptacle des échappatoires qu’un couple à bout de ressources pouvait chercher au huis clos de ses angoisses et de ses dissimulations : les projections factices d’un écran télévisé et de ses émissions de télé-réalité. Autant de cadrages et de claustrations du même, répétés comme autant de mises en abyme d’un réel qui fait défaut au cœur du fauteuil, emblème du salon comme centre d’une maison réglée comme une prison. Dès Zaï Zaï Zaï Zaï en 2003, alors associée à Jean-Benoît Ugeux pour la conception et la mise en scène, Anne-Cécile Vandalem posait les jalons d’un sillon non démenti depuis lors. Hansel et Gretel (2006) enfoncerait le clou, descendant à la cave de la maison le terrain d’expérimentation d’une claustrophobie érigée en remède. Dissimulations et (auto) enfermement ne cesseront plus d’habiter les univers électriques dans lesquels l’artiste tente de régler autant le format des relations humaines que leurs niveaux de compréhension et d’insatisfaction face aux normes de ce monde. À moins qu’il ne s’agisse de les dérégler pour mieux les mettre à nu.
C’est dans (Self) Service (2008) que le système Vandalem s’épaissit. La maison y devient l’authentique personnage principal du drame (au sens noble de l’écriture comme à celui du mélo ironique promu en façade). Telle une boîte close chargée des sons qui lui procurent sa vie factice (on se souvient que toutes les voix y étaient pré-enregistrées, par Vandalem elle-même interprétant chacune des lignes attribuées aux différents personnages), la maison enferme les vies et délivre la morte. Protégé encore par une authentique barrière de verre, le jeu se déploie dans une scène complètement vitrée qui n’aura jamais aussi bien porté son nom de cage. Car derrière les femmes humaines qui s’y débattent, aux prises avec leurs secrètes perditions et détestations, ce sont les armoires qui battent des portes, les sarcophages à UV qui agitent leur couvercle ou les sandwiches mous de l’enterrement qui déglutissent avec application leur salade mayonnaise. On assiste, voyeurs impuissants mais ravis, à la mise en œuvre d’un combat sournois qui convoque l’esprit de toute chose, révélant au passage l’animisme insistant de l’auteure et sa capacité à disposer peu à peu l’extra-ordinaire au cœur de l’infiniment banal. (Lire la suite dans le #129 Scènes de femmes, écrire et créer au féminin)
«Tristesses» d'Anne-Cécile Vandalem est à l'affiche à l'Odéon, Théâtre de l'Europe (Paris) jusqu'au 27 mai 2018. Extrait du dossier paru dans le #129 Scènes de femmes, écrire et créer au féminin, paru en juillet 2016. Ce numéro est disponible en PDF au prix de 8,99€.