– ÉCRIRE UN THÉÂTRE QUI DONNE FIGURE À L’INCERTITUDE dont nous sommes constitués, par nature et par société, qui s’installe dans la zone obscure où une chose peut basculer dans son contraire.
– L’ÉCRIVAIN N’EST PAS UN PROFESSEUR DE MORALE, ÉCRIT BÜCHNER dans une lettre, faisant savoir ainsi que si une pièce traduit toujours un point de vue, elle n’est pas pour autant la matérialisation d’une voie (et d’une voix : celle de l’écrivain supposé savoir). Projetée au présent, cette distinction recoupe celle que fait Georges Didi-Huberman entre prise de parti et prise de position. Cette distinction me paraît capitale pour garder au théâtre sa visée politique et simultanément pour ne pas instrumentaliser cette visée, pour ne pas la durcir en un point de maîtrise qui ne laisse plus au spectateur que la posture de la soumission à l’idéologie défendue ou à son rejet. Le livre de Didi-Huberman sur Brecht Quand les images prennent position me paraît de ce point de vue tout à fait convaincant.
– FAIRE DU THÉÀTRE DANS LA LUMIÈRE FROIDE DU SUPERMARCHÉ, n’avoir à pourfendre que les rayonnages de la marchandise, – combats peu exaltants, en somme.
– OUI, EN DÉFINITIVE, À UN THÉÂTRE DU PIÈGE. On le déclinera possiblement de la façon suivante : le piège comme élément extérieur qui nous capture, à notre insu, contre notre gré ; le piège comme mécanisme intérieur, se piéger soi-même, être à soi-même son propre piège, le piège comme logique du boomerang ; le piège comme sacrifice : piéger l’autre en se piégeant soi-même. Mais aussi la séduction comme piège, le pouvoir comme piège, l’innocence comme piège, la vérité comme piège, etc.
– DÉCRIRE CE QUI FAIT RÉSISTANCE CHEZ LES PERSONNAGES ; décrire aussi les figures inverses de la perte, de l’impuissance, de la trahison.
– QUAND KADARÉ RACONTE qu’Eschyle déçu quitte la Grèce pour un exil volontaire en Sicile, il nous rend l’ancêtre tout proche, il lui souffle des épaules une tonne de poussière commémorative, il en fait un homme actif, un intervenant majeur dans une histoire qui perdure aujourd’hui et fait de nous des héritiers.