Avec Diane Self Portrait, Paul Desveaux signe le troisième volet de son triptyque américain. Une création sur la photographe new-yorkaise Diane Arbus, écrite par Fabrice Melquiot.
Diane Self Portrait[1]est une histoire qui commence par la fin. Sur le plateau, dans sa baignoire, Diane Arbus (formidable Anne Azoulay) qui vient de se suicider, s’apprête à nous raconter sa vie, en compagnie de son mari (Paul Jeanson), de sa mère (impeccable Catherine Ferran) et de quelques modèles devenus des amis intimes de la photographe. Nous sommes à New-York en 1971 et la vie de Diane Arbus va se reconstituer sous nos yeux. Pourtant, la pièce n’a rien d’un biopic, ni d’un hommage. Comme pour ses mises en scène sur Jackson Pollock et Janis Joplin, Paul Desvaux s’empare surtout de l’histoire de son personnage principal par les autres pour attraper des fragments impressionnistes de la vie de la photographe de rue new-yorkaise et faire pénétrer le spectateur dans sa chambre noire. En cela le texte dont il a passé commande à Fabrice Melquiot le sert magnifiquement : dialogues familiaux, narration extérieure, énumérations de dates importantes, tant dans la vie de Diane que dans l’Histoire, Des énumérations utiles, mais parfois un peu longues, heureusement soutenues par la guitare de Michaël Felberbaum, qui improvise avec nervosité sur le plateau. L’écriture de Fabrice Melquiot n’est pas seulement réaliste. Elle s’inscrit dans différents genres, évoquant, parfois par exemple, bien sûr le conte dont Fabrice Melquiot affectionne tant les réécritures contemporaines[2]. Ainsi sa Diane Arbus évoque-t-elle une sorte de Belle au Bois Dormant qui, jeune-fille, s’éveille oisive d’une vie totalement aseptisée. Quant à Gertrude, la mère de Diane, inquiétante malgré elle, c’est une évocation de la marâtre de Blanche-Neige ou de la Cruella d’Enfer des 101 Dalmatiens, lorsque la photographe imagine sa mère appuyant sur le couteau d’un chasseur pour l’aider à la dépecer afin d’en faire un manteau de fourrure…
En contre-point, Paul Desvaux signe une mise en scène élégante et sobre (la scénographie est épurée, la direction d’acteurs plutôt classique) sans pour autant être muséale. Les photographies de Diane Self Portrait, parfois projetées sur le plateau,sont en noir et blanc, prises en direct par le personnage de Diane qui n’hésite pas à convoquer des spectateurs sur le plateau pour lui servir de modèle, notamment lorsqu’elle dit vouloir photographier « Tout ce qu’il y a de pire : une famille, Maman, Papa et les Kids ». On assiste à une métamorphose, l’ascension d’une pauvre petite fille riche, princesse juive new-yorkaise de la Cinquième avenue, qui s’élève au fur et à mesure qu’elle descend dans les bas fonds de sa ville.
Car Diane Arbus écorchée vive, pleine de doutes, photographie, avec passion et sans aucun jugement moral, tout ce que l’Amérique ne veut pas montrer : la mort bien sûr, les malformations physiques, la violence, les petites-gens, la prostitution, les transsexuels, les malades mentaux, etc. En un mot la différence. Dans Diane Self Portrait cette fascination pour la différence s’exprime par deux amis de Diane Arbus : Jack Dracula (le performer et dessinateur au crâne rasé et au corps tatoué Jean-Luc Verna, qu’elle photographie) et Vicky (la bassiste transsexuelle Marie-Colette Newman) une prostituée transgenre dont Diane fait son assistante et sa confidente. Le pari était risqué et il est gagné, Paul Desvaux a l’habileté de faire appel à ces deux personnalités pour ce qu’elles sont : des artistes qui apportent une touche de fantaisie et de magie, entre David Lynch et Jean Genet, à un spectacle qui sans eux serait peut-être un brin trop formel. On y apprend beaucoup, sur Diane Arbus bien sûr, mais aussi sur l’Amérique de l’époque et sur l’évolution de notre rapport à l’image. Ainsi, par exemple, Diane Arbus mettait-t-elle environ six heures pour réaliser une photo. Alors que le règne contemporain de la mise en scène de soi n’en finit pas, Diane Self Portrait met en lumière avec finesse un regard qui célébrait les autres.
A voir aux Plateaux Sauvages / Paris 20e
DIANE SELF PORTRAIT
THÉÂTRE, MUSIQUE ET VIDÉO
21 SEPTEMBRE > 9 OCTOBRE
Texte
Fabrice
Melquiot
Mise en scène et scénographie Paul Desveaux
Collaboration artistique Céline Bodis
Musique Vincent
Artaud et Michael
Felberbaum
Création lumière Laurent
Schneegans
Costumes Virginie
Alba assistée
de Morgane
Ballif
Photographie
Christophe
Raynaud de Lage
Régie
générale et plateau Clément
Mathieu
Régie
son et vidéo Grégoire
Chomel
Régie
lumière Philippe
Bouttier
Avec Anne
Azoulay, Michael Felberbaum (guitariste), Catherine
Ferran (sociétaire
honoraire de la Comédie-Française), Paul Jeanson, Marie-Colette
Newman et Jean-Luc
Verna
[1] Le texte de la pièce est édité chez L’Arche. Voir Fabrice Melquiot, Diane, L’Arche, Paris, 2020. [2] Voir notamment La Fabrique des contes (Musée d’ethnographie de Genève) et Alice et autres merveilles (L’Arche). [1] Le texte de la pièce est édité chez L’Arche. Voir Fabrice Melquiot, Diane, L’Arche, Paris, 2020.