Comment le débat sur le sexe et le genre influence-t-il le milieu théâtral? La création des femmes est elle différente de celle des hommes? Si oui, en quoi diffère-t-elle? Les femmes ont-elles les mêmes difficultés à montrer leurs oeuvres? Gagne-t-on réellement quelque chose en séparant les hommes des femmes? Voilà quelques-unes des questions débattues dans ce numéro: Scènes de femmes / écrire et créer au féminin.
Le premier article, qui retrace un débat qui eut lieu au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris avec des participants belges et français, artistes et responsables d´institutions, donne un constat décevant (vous retrouverez les différentes interventions sur le site: www.alternativestheatrales.be).
Muriel Genthon, haute fonctionnaire chargée de l´égalité entre les femmes et les hommes au Ministère de la Culture et de la Communication en France nous apprend notamment que dans les établissements du spectacle vivant, seules 8 % sont des femmes, directrices ou présidentes. Seulement 11 % sont à la tête de centres chorégraphiques nationaux et 10 % pour les scènes de musiques actuelles. Autre constat encore plus décourageant : plus le budget est important, moins il y a de femmes à la tête. Et pourtant, la parité est de mise chez les étudiants dans le secteur artistique. Si l’on se tient au fait que 30 % est le seuil d´invisibilité, on comprend vite que la situation est alarmante.
Sophie Deschamps, présidente de la SACD en France se demande si les instances responsables dorment debout. La parité entre les deux sexes doit être considérée comme un droit démocratique. Mais si on essaie de parler de quotas, dit Inès Rabadan, du comité belge de la SACD, on entend souvent dire « oui, mais…. la qualité? » Mais qui décide que telle oeuvre est « de qualité » et quels sont alors ces critères? L’expérience suédoise des quotas visant à renforcer l´égalité hommes-femmes a eu de réels résultats, sans créer de conflits. Alors pourquoi pas les introduire en France et en Belgique, se demandent les deux intervenantes.
En même temps, on peut lire sur le site du journal Rekto:Verso que la situation dans l´autre communauté de la Belgique n´est guère meilleure. Vivons-nous encore dans une société misogyne ou, comme un auteur écrit avec sarcasme : « Too many cocks spoil the soup » ?
Phia Ménard, une autre intervenante dans ce débat, est jongleuse, metteuse en scène et directrice de la Cie Non Nova. Comme femme transgenre ses spectacles traitent des hypocrisies de notre monde. « Pour les hommes, je suis le traître. Mes spectacles traitent des hypocrisies de notre monde de super destructeurs. Je suis féministe parce que je pense que nous n’avons pas d’autres choix dans une société patriarcale… Je revendique que les hommes ne sont pas émancipés et que notre égalité passe par la nécessité de leur émancipation. »
Christine Letailleur, metteuse en scène, estime que mettre en scène pour une femme est un combat. Il faut se battre pour imposer son regard et même certains choix d’auteurs. Elle questionne la sexualité en mettant en scène des écrivains comme Sacher, Sade… Dans son dernier spectacle, Les Liaisons dangereuses (Choderlos de Laclos) elle a voulu montrer le côté « féministe » de l´œuvre, comment le corps social de la femme a toujours façonné son image et comment cette image continue à être un enjeu politique. Mais les programmateurs sont souvent réticents parce qu’ils interprètent le sens de ces œuvres d´une manière assez machiste, dit-elle.
Laurent Bazin, qui dans son spectacle Bad Little Bubble B expose cinq corps de femmes dénudés dans une proposition scénique située entre conférence, danse, théâtre, pantomime et performance montrant la crise du sens à l’heure de l’hyper-exploitation des désirs où le corps, surtout celui de la femme, est surexploité. Une image stéréotypée qui malheureusement est souvent maintenue par les femmes elles-mêmes.
« La pensée est un apanage humain, et non genré », dit Maëlle Poésy, une jeune metteuse en scène, très nourrie par la danse contemporaine. Elle est étonnée que nombre de programmeurs refusent d’employer le terme de « metteuse en scène ». « Ils demandent aussi si mes spectacles traduisent un point de vue féminin sur le monde! Mais on ne demande jamais aux metteurs en scène hommes s’ils imprègnent les leurs d’un regard masculin. »
Ermanna Montanari, Emma Dante et Marta Cuscunà sont trois actrices et metteuses en scène italiennes. Venant chacune de trois régions très différentes, elles racontent le rapport à la terre et les contradictions vitales de leur région respective. Toujours en montrant les femmes comme combattantes pour la liberté et la justice. Pour ces trois créatrices, la pensée n’est pas liée à un facteur biologique mais à une volonté de ressortir les blessures causées par des injustices souvent liées à l’enfermement familial.
Dans son spectacle Carmen, inauguré en 2009 à la Scala de Milan, Emma Dante montre comment les lois peuvent être transgressées. « Quand je fais du théâtre, je suis hermaphrodite, j’ai en moi les deux pulsations et les deux sexes », dit Emma Dante dans un texte.
La metteuse en scène belge Anne-Cécile Vandalem oriente le spectateur vers notre situation désastreuse tant économique, sociale que culturelle ou les courants populistes gagnent du terrain. Elle questionne ce que signifie l´espoir qui fait vivre beaucoup de gens mais qui crée aussi une fausse attente. Son spectacle Tristesses montre notre volonté de lutter contre la diminution de notre puissance d’agir. Dans un entretien elle dit: « Je dirais en tout cas que même si je montre les femmes dans leurs faiblesses, comme je le fais avec tous mes personnages, j’essaie aussi d’en souligner la finesse et les nuances… J´aime énormément écrire pour les femmes, car je les trouve intéressantes, complexes, inspirantes… Les femmes ont toujours dû s’adapter: de cette capacité d’adaptation, il ne peut sortir des personnages monolithiques ».
« On ne peut pas défaire tout ce que l´histoire a fait, et l´on ne peut pas se défaire de tout ce que l’histoire nous a fait être » dit Didier Eribon dans Théories de la littérature (sous-titré « Système du genre et verdicts sexuels »). Dans son texte: « Quelques notes sur le genre », Antoine Laubin se demande si la féminisation du discours masculin ne serait pas un sillon à creuser. Féminiser le langage d´abord, pour parvenir à féminiser les rapports humains ensuite. De mettre de côté le phallocentrisme et l’exercice masculinisant du langage pour les réinventer au féminin. Mais comme Eribon écrit: « La domination masculine et avec elle la domination hétérosexuelle ne doit-elle pas être analysée dans ses relations avec les autres formes d´oppression? » D’autres groupes socialement défavorisés ? Mais le problème est que nous continuons la pensée bipolaire et risquons de tomber dans le même système analytique.
Maëlle Poésy est impressionnée par Guy Cassier et Ivo van Hove qui jouent avec les genres en donnant à des hommes des rôles de femmes et vice-versa, comme par exemple Katelijne Damen qui joue Eichmann dans Les Bienveillantes, d’après Jonathan Littell. Une façon de faire évoluer les rôles de femmes qui sont bourrés de stéréotypes?
Comme notre société est de plus en plus dominée par les médias, où les vues patriarcales stéréotypées dominent, on peut se demander comment le théâtre pourrait changer cette situation.
Ann Jonsson
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