Sous le titre There are alternatives la nouvelle équipe de direction a souhaité analyser la situation actuelle. Comment les arts de la scène peuvent-ils se profiler dans un monde aussi changeant que celui nous vivons pour le moment? Quelles sont les alternatives pour le développement d’un art minoritaire, accusé d´être trop élitiste, qui s’inscrit aussi davantage dans une société néolibérale exigeant plus de créativité, de flexibilité mais où la rentabilité est un facteur monopolisant l´espace public. Avec pour résultat que beaucoup, dans les domaines de théâtre, danse, littérature, musique et film, risquent de se transformer en pure divertissement pour remplir les salles et les caisses des producteurs.
Mais comme suggère le titre de la publication, il existe des alternatives. Certains auteurs revendiquent un théâtre qui serait davantage militant, d’autres plus politique mais de façon détournée. Le problème est de trouver un équilibre entre le théâtre institutionnalisé subsidié, le milieu associatif et le théâtre-action où on expérimente et réinvente beaucoup aujourd´hui (…). « Le théâtre gagne, comme le défend Jean-Marie Piemme, une liberté nouvelle, celle d´expérimenter sans contraintes et sans limites. »
Le concept d’oeuvre tend aujourd´hui à s’inscrire tout entier dans la présence, le moment et le fait même d´être ensemble ici et maintenant impliquant de moins en moins la préexistence d’un texte écrit par un auteur. Mais comme Nancy Delhalle écrit dans son texte: « Réaffirmer le théâtre comme espace et temps public. Pour une alternative démocratique » : « Or, aujourd´hui quel est l’état de l’institution susceptible d’inscrire le théâtre dans le maillage social afin qu’il contribue à faire la culture? »
Les créations in situ ne font qu’augmenter et ouvrent les possibilités d’autres publics. Les universitaires doivent arrêter de se calfeutrer dans leurs univers et sortir pour soutenir la rue, pour créer des alternatives concrètes, revendique David Murgia. Coline Struyf prend l’exemple de quand elle a monté son spectacle L’Insurrection qui vient avec un collectif d´acteurs au Théâtre National en 2010, qui a failli tourné au désastre, à cause de l’éditeur qui poussait le texte à la destruction des institutions.
Comment peut-on montrer un geste politiquement perturbateur aujourd’hui dans ce cadre? Faut-il se contenter de s’en tenir au mouvement citoyen tel que par exemple Hartbovenhard ou Toute autre chose (voir www.toutautrechose.be/nous-voulons-quoi et www.acteursdestempresents.be).
Aujourd’hui, l’un et l’autre monde sont poussés à se rapprocher.
Les préjugés sont toujours présents car la logique institutionnelle reste toujours repliée sur elle-même. « Quelque chose me dérange dans le pouvoir qu’on attribue d’avance aux politiques… La temporalité des politiques n’est pas la nôtre: le temps de mettre en place une logique de politique culturelle, les artistes sont déjà ailleurs… » dit Mylène Lauzon.
Dans le texte « Citoyens et scènes … » on met en valeur des productions d’acteurs non-professionnels. L’idée est de permettre un dialogue créatif entre le public et les acteurs. Ils viennent en quelque sorte de documenter leur propre existence. Mais ne s’agit-il pas de « faire du faux » avec du vrai, se demande Selma Alaoui, l’auteure de l’article. Les exemples de ce genre de théâtre sont nombreux partout en Europe.
Une forme d’action sociale qui permet aux participants non-professionnels une nouvelle expérience, certes, mais aussi un genre de théâtre brut où le public est mobilisé un peu comme au cirque où le corps prend tout son sens. Avec, en plus, un discours spontané fondé sur les expériences de chacun.
Le cas Hamlet de Yan Duyvendak est un théâtre pseudo-participatif car il mélange des comédiens professionnels avec des professionnels de la loi. Une expérience séduisante qui a tourné partout en Europe. Un espace d’hyper-réalité qui fait basculer le spectateur sur la question de la justice et sa véracité ( www.duyvendak.com ). Dans son dernier spectacle, Sound of Music, avec le chorégraphe Olivier Dubois, il s’est inspiré des articles d’actualité collectionnés dans des medias, le tout mélangé avec des mélodies populaires des années trente qui reflètent la catastrophe politique, écologique et sociale dans laquelle nous sommes toujours embarqués.
Dans son spectacle Les Damnés que Ivo Van Hove a monté au dernier festival d’Avignon, on voit comment le monde de la finance agit sans aucune forme d’idéologie et comment le système politique est toujours impliqué. Chez Joël Pommerat, dans Ça ira (1) Fin de Louis, résonne aussi la crise politique et idéologique que nos sociétés traversent (voir le n°130 d’Alternatives théâtrales). C´est une fiction politique qui ressemble à un reality show prenant à part le public dans une ambiance presque inaudible, incitant le public à s’ouvrir à la réflexion.
Jan Lauwers, qui tourne dans le monde entier, m’a dit un jour dans une interview que son théâtre n’est pas politique dans le sens premier du terme. Il souhaite attirer l’attention sur ce qui se passe dans notre monde. Le tout rehaussé par un peu d’humour noir.
Une situation peut être perçue et vécue sous plusieurs angles comme chez Pommerat. Ça ira (1) Fin de Louis interroge directement notre rapport actuel à l’action politique, nous invite à prendre part à une histoire toujours en cours tandis que Jan Lauwers stimule le sens imaginaire par les jeux absurdes faussement naïfs qui créent un choc tout en brisant nos propres idées figées.
L’Amicale de production est une coopérative de projets où les installations, créations in situ et autres performances théâtrales s´inventent au fur et à mesure que des artistes membres signent un projet accueilli par l’Amicale. L`équipe se compose aussi d’une vaste équipe de responsables administratifs et techniques qui dialoguent en permanence avec leurs partenaires et le public. Cette coopérative créée par les artistes Antoine Defoort, Julien Fournet et Halory Goerger est basée conjointement à Bruxelles et à Lille. Une façon de se libérer d’une compagnie traditionnelle et qui permet aux artistes de piloter leur projet de recherche, de la production à la diffusion.
Tout ce numéro est bien documenté et contient plusieurs articles qui non seulement font le point sur la situation de la sinistrose d’aujourd’hui mais montrent aussi que la création reste toujours ouverte à des nouvelles formes de création, d’échanges et de réflexions.
Ann Jonsson
Le numéro 128 d'Alternatives théâtrales est disponible à la commande sur notre site.
www.danstidningen.se