Comme un aimant

À propos de « It’s going to get worse and worse and worse, my friend» de Lisbeth Gruwez.

Lisbeth Gruwez. Photo Luc Depreitere

Danser l’extase du verbe : voilà à quoi s’attaque Lisbeth Gruwez, chorégraphe et danseuse passée par les compagnies de Wim Vandekeybus et Jan Fabre, dans ce solo d’une puissance rare, aussi rigoureux que frénétique. À partir du discours d’un prédicateur évangélique américain, que nous saisissons tantôt comme un souffle criblé d’éclats de voix, puis de mots heurtés et de bribes de phrases, tantôt à travers la clameur sourde qui l’accompagne, Lisbeth Gruwez fait vibrer l’intensité de l’art oratoire dans ses gestes et dans sa peau. Sans jamais verser dans l’illustration, elle interprète les rythmes, les formes et les émotions multiples d’un sermon dont on imagine les accents sombres, presque apocalyptiques. Loin de travailler un bloc homogène, Lisbeth Gruwez cisèle un matériau subtil, faisant s’entrechoquer l’invective et la légèreté, la séduction et la menace. Il semble qu’elle a mille corps et mille manières de le faire vivre et bouger, exaltés par la mise en scène épurée et le jeu extrêmement précis et juste sur le son et la lumière. Parfois, ce sont ses bras qui se perdent en virevoltant dans les airs, interminables de grâce et d’aisance comme des oiseaux déliés. À d’autres moments, la danseuse se fait taureau nerveux, à la fureur brute. Son corps est ainsi immense ou compact, écrasant d’autorité et sautillant d’une énergie lumineuse, libérée, presque douce. Qu’elle paraisse portée par la transe ou en pleine maîtrise d’une harangue aux mouvements étudiés, qu’elle répète jusqu’à l’obsession ou qu’elle tranche d’un coup net, Lisbeth Gruwez nous étourdit tout au long des cinquante minutes du solo, de sa première à sa dernière apparition. Chacun de ses gestes est implacable, comme nimbé d’une élégance enfiévrée, et on retient notre souffle tant il soulève en nous des vagues mêlées de fascination, de crainte et d’amour. Ce n’est pas une démonstration sur les sortilèges du discours et la captation des foules, et pourtant : la tempête du verbe, dansée par Lisbeth Gruwez, est passée sur nous, et nous a pris dans ses filets. Comme un aimant, son premier regard nous a rivés à elle, on la suivrait partout. Que ça devienne pire, et pire, et pire, qu’importe : le flot de sa danse nous a terrassés, et on en veut encore.

Lire aussi sur notre blog: Les mondes enfouis de Lisbeth Gruwez par Selma Alaoui.

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