Jeudi 12 juillet
Le théâtre du jeu de Paume aura été, cette dernière décennie, le lieu des découvertes du festival d’Aix-en-Provence ; la présentation des « cartes blanches » données aux artistes ont, grâce à Bernard Foccroulle qui les a suscitées, esquissé ce qui sera l’opéra du futur.
Seven Stones, produit en symbiose par le compositeur Ondrej Adamek, l’écrivain Sjon et le metteur en scène Eric Oberdorff est une oeuvre fascinante, d’une inventivité saisissante.
Elle réussit le pari d’emmener le spectateur dans un voyage « inouï » à partir d’un livret qui suit une trame narrative tissé d’anecdotes qui s’enchaînent au parcours d’un personnage central, dont la passion de collectionneur de pierres se double d’une quête de sens de la vie et de l’existence. Le récit n’hésite pas à mêler science et poésie, passé et présent, personnages réels et imaginaires, univers réalistes et surréalistes.
Nous voilà embarqués dans un voyage autour de la pierre dans tous ses états, celle de l’enfance qu’on caresse dans sa poche, celle dont on construit les murs, celle qui servit aux lithographies d’Edward Munch, celle dont les radiations emportèrent Marie Curie, celle qui sert à lapider la femme adultère, celle des bijoux de la « pierre de lune »…
Le plaisir qui se dégage de l’écoute et de la vision du spectacle est dû notamment à un immense travail de précision et d’engagement réalisé par tous les participants et exécutants de l’oeuvre ; chaque proposition musicale, visuelle, corporelle semble couler de source et se fondre dans la suivante. Il se constitue ainsi une ligne claire du récit qui allie pourtant mystère et symbolique.
Cette réussite tient aussi à la perfection des relations qui se nouent entre les protagonistes autour d’un rythme que l’on ressent au plus profond de soi, comme un coeur qui bat. Je n’ai pu m’empêcher durant les trente premières minutes de la représentation d’accompagner physiquement et/ou mentalement cette pulsion du temps, de la musique, du chant.
Elle tient encore à cette belle idée de faire des chanteurs et du choeur (le talentueux ensemble Accentus) un véritable orchestre ; la diction parfaite des interprètes où chaque syllabe est proférée avec une intensité qui ne retombe jamais est captivante. Les consonnes, particulièrement les « sifflantes » ( comme dans Seven StoneS) sont un « enchantement ».
La partition, qui devrait réconcilier avec la musique contemporaine tous ceux que font fuir les approches trop absconses qu’on lui reproche souvent, réussit à merveille à intégrer instruments classiques (violon, contrebasse, violoncelle) et les inventions de percussions de tous ordres, archets sur des objets mouvants, tintement de verres à vin, scie musicale, etc. Cet instrumentarium inédit produit au final une musique d’une grande harmonie.
Le compositeur n’hésite pas à nous emmener aux ailleurs de notre monde et de notre histoire : ça et là des parfums d’Asie ou d’Afrique pointent au coeur des voix et des instruments et des notes de clavecin nous renvoient pour un temps dans l’univers baroque.
Ce qui permet de suivre cette belle proposition et d’y adhérer, même si la complexité des formes et du récit est parfois étourdissante, c’est la simplicité de la restitution qui l’accompagne, l’humilité et la volonté inébranlable des interprètes au partage d’une expérience qu’ils ressentent unique et singulière et qui en fait un moment d’humanité.
Seven Stones, opera a capella pour 4 chanteurs solistes et douze chanteurs choristes. Musique d’Ondrej Adamek, livret de Sjon, mise en scène d’Eric Oberdorff, scénographie d’Eric Soyer. Chanteurs : Anne-Emmanuelle Davy, Shigeko Hata, Nicolas Simeha, Landy Andriamboavonjy. Chooeur Accentus/axe 21. Création mondiale du festival d’Aix 2018.