Avignon 2019 « Pelléas et Mélisande » de M. Maeterlinck : un tragique quotidien appuyé sur la poésie de l’image.

L’opéra de Claude Debussy a pratiquement éclipsé le texte original, plus nuancé, de Maeterlinck, plein de failles mystérieuses. Magnifié par une musique bénéficiant d’une aura universelle, porté par des mises en scène souvent exceptionnelles (comme celle de Katy Mitchell à Aix en 2016) l’opéra a mis à l’arrière-plan la pièce de théâtre. A Avignon Julie Duclos a relevé le défi avec panache et pertinence.

"Pelléas et Mélisande" de Maurice Maeterlinck , mise en scène de Julie Duclos. Festival d'Avignon 2019 (c) Christophe Raynaud De Lage

Avec son équipe très soudée (Emilie Noblet pour le film initial, Hélène Jourdan pour la scénographie) Julie Duclos donne une sensibilité contemporaine à ce drame symboliste, sans en trahir le sens. La sensation d’effondrement d’un monde inspire son intro filmée dans la forêt et les très beaux inserts qui rythment le récit d’une symphonie de couleurs sombres et de saisons menaçantes. Une allusion discrète, oblique, jamais littérale aux menaces actuelles sur la nature. Et le mélange du film et du théâtre multiplie les angles visuels qui soutiennent le texte et le jeu des acteurs, tous excellents.  La partie si ambigüe des amours furtives de Pelléas (fragile Mathieu Sampeur) et Mélisande (Alix Riemer, habile meneuse de jeu) est traitée en nuances.. Vincent Diesez en Golaud n’est pas un jaloux caricatural mais un animal blessé, parfaitement odieux dans la scène où il oblige le petit Yniold à jouer les voyeurs. Ce visage d’enfant manipulé par un adulte, projeté sur grand écran, est inoubliable et d’une terrible actualité.

Comment rendre contemporain Maeterlinck le symboliste et relever le défi d’un opéra éponyme qui lui fait concurrence ? Les réponses de Julie Duclos.

Interview de Julie Duclos (JD) par Christian Jade (CJ)

Vous avez vu le « Pelléas et Mélisande » de Debussy,  sur le livret de Maeterlinck ??
J’ai pas vu le direct mais la version enregistrée de Katie Mitchell à Aix-en-Provence. C’est esthétiquement très beau, très fluide et elle joue sur le dédoublement tout en développant un univers un peu hitchcockien .C’est très contemporain et débarrassé de tout un tas d’imageries .

Vous préférez la pièce à l’opéra ?
On parle tellement de l’opéra et tellement peu de la pièce ! C’est se tromper que de les comparer autant : ça n’a rien à voir de chanter le texte d’un livret et de jouer le texte original. L’opéra rend la pièce plus lyrique avec parfois un ton un peu précieux. Or ce texte parlé laisse aussi la place au silence et pour moi Maeterlinck, c’est l’écriture de l’invisible et du silence. La partie instrumentale de Debussy est très belle mais c’est une autre œuvre. J’avais envie de faire entendre cette pièce dans toute sa force.

Certains affirment que son univers est « inaudible » aujourd’hui.
L’onirisme est important tout comme   la magie et la spiritualité dans le théâtre de Maeterlinck Avec certaines imageries, le danger du château hanté, une fille qui viendrait on ne saurait pas d’où, cette énigmatique Mélisande, on peut vite se décrocher du réel, et en faire une écriture artificielle, qui ne viendrait plus nous parler de la vie. On se met vite à flotter avec Maeterlinck et  on fabrique alors des clichés qui seraient de l’ordre de la poésie pure, non ancrée dans le réel. Pour moi la force de cette pièce est poétique, mais les situations de  vie sont très concrètes.

On oppose souvent son symbolisme rêveur dont il est une figure majeure et le naturalisme.
On a tendance à opposer naturalisme et symbolisme mais Il y a quand même des liens troublants entre  La Mouette de Tchékhov  et Pelléas et Mélisande. Il sont de la même époque, Tchekhov a découvert les carnets de Maerterlinck et il l’admire beaucoup. Je ne pense donc pas qu’il faille opposer symbolisme et réalisme, il faut dépasser ces questions- là. Dans l’écriture de Maeterlinck, des choses contradictoires se jouent en même temps et c’est sa force.Son écriture est très simple, très concrète et en même temps  il a des envolées poétiques qu’il faut soutenir, avec Pelléas notamment qui a cette capacité fragile à dire son amour. Golaud, c’est le personnage le plus trivial, il est très concret dans son rapport au monde et aux choses.

Pelléas et Mélisande, n’est pas pour moi un conte fantastique. Dans Trésor des Humbles, où il parle du tragique quotidien, Maeterlinck  a cette phrase magnifique : «Faut-il hurler comme les Atrides pour appeler Dieu ? … Dieu ne vient-il pas s’asseoir sous l’immobilité de notre lampe ? ». Son « tragique quotidien », vient ancrer les choses spirituelles  dans nos vies..

Pourquoi cette longue scène de quasi toture psychique d’un enfant, Yniold par Golaud ?
A l’opéra la scène est très brève et on montre plus souvent une  jeune fille, car il faut qu’elle chante juste dans l’aigu . Je n’avais pas envie d’être dans ce « code opéra ». Je voulais vraiment mettre en scène un enfant, sa  présence forte, son innocence, la grâce de cet enfant-là. Ca peut ressembler à un interrogatoire de police  ou à une interview si on est un peu plus doux. Je me place entre les deux registres. Cette scène est la plus longue de la pièce, elle fait plusieurs pages. Et c’est émouvant la pureté des réponses de l’enfant par rapport à la folie grandissante de Golaud.

En Belgique l’interaction entre théâtre et cinéma va de soi. En France le public et surtout une partie des critiques ont des réticences.
C’est un esprit très français de vouloir toujour « séparer » les choses. Beaucoup de critiques raisonnent par catégories : « c’est du théâtre ou c’est pas du théâtre, c’est du cinéma ou c’est pas du cinéma ». Comme si amener des images empêchait de questionner les lignes du théâtre  A l’inverse je trouve nécessaire de faire appel à plusieurs arts  et je prends plaisir à  les faire circuler. Ce n’est pas nouveau :Pina Bausch quand elle débarque, on ne sait pas comment nommer « ça ». Et c’est formidable, car elle invente un langage, comme le plasticien Castellucci habite  « son » univers..Je pense que le cinéma est un outil comme tant d’autres, avec le son, la lumière, le jeu des acteurs, pour continuer de bouger les lignes et  créer des cadrages nouveaux. Ca sert à plein de choses le cinéma, en tout cas l’utilisation de l’image. Dans les compagnies de ma génération (j’ai 34 ans)  ça va de soi de jouer sur  plusieurs univers, cinéma, théâtre, danse : chacun en a un usage personnel et invente son propre langage à partir de là.

Votre génération a baigné dans le cinéma et le théâtre et  mêle les deux d’instinct ?
On a grandi avec ça, on s’embête moins sur les frontières, on peut en jouer, enrichir l’un par l’autre. C’est selon chaque œuvre à laquelle on s’attelle, et ce dont on a besoin. Moi en tout cas je suis toujours à l’écoute. Par exemple, l’utilisation de la vidéo c’est comme je la sens. Elle fait partie de mon langage  mais sur des modes différents selon les pièces que j’ai pu monter. Son utilisation s’invente au fil des projets.

«Pelléas et Melisandee de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Julie Duclos. 

 A Avignon puis en tournée d’octobre 2019 à avril 2020 (Reims, Rouen, Lille, Besançon, Rennes, Mulhouse, Lyon).

La plus longue série à Paris ( Odéon-Théâtre de l’Europe, du 22 février au 21 mars 2020)

Julie Duclos, artiste associée au Théâtre de la Colline, dirigé par Stéphane Braunschweig (2014/2017), puis au Théâtre National de Bretagne, dirigé par Arthur Nauzyciel. Un spectacle de fin d’études remarqué (au CNSAD Paris) « Fragments d’un discours amoureux » d’après Roland Barthes (2010). Une adaptation de « La Maman et la Putain » (« Nos Serments » 2014) et des mises en scène de J.L Lagarce et Lars Noren (2017/2018). Actrice (théâtre et cinéma) et actuellement en écriture d’un long métrage.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.