La langue utilisée par Celestini, un italien régional romain, est l’expression de son identité personnelle mais c’est aussi la voix d’une communauté. En Belgique, il est « traduit » en direct par Patrick Bebi. Ensemble, ils ont développé une façon unique de faire passer d’une langue à l’autre, en direct, un texte. Ses spectacles en partie improvisés ne peuvent se plier aux surtitrages :
« Je n’apprends pas un texte par cœur, je me le remémore à chaque fois. Je le raconte avec mes mots à moi. Je les dis avec ma voix, mon corps, ma barbe. »
Sur scène, il passe de narrateur aux personnages sans changement de voix ou d’attitude. Il n’imite jamais un parler ou une attitude. Évitant ainsi l’incarnation psychologique et les faux personnages, il marque de sa présence, de son essentialité, les histoires qu’il exprime.
Celestini a une façon exceptionnelle de rester toujours lui-même, il est d’une authenticité radicale. Son identité très forte n’a pas besoin de mise en scène.
Principalement assis sur scène et quasi immobile, son style oral est caractérisé par des répétitions, des enchaînements de mots, des paradoxes qui esquivent le réalisme simpliste et créent un rythme, accentué par une vitesse variable de la parole et un grain de voix très particulier. Il utilise peu de métaphores mais des images parfois crues, toujours bien réelles, qui touchent directement son interlocuteur. Au niveau formel il démontre une maîtrise absolue : ses gestes, rares, servent toujours à apporter un élément de plus à son texte : « les gestes qu’on fait dans la vie ne sont jamais faux. J’essaie de me mettre dans la condition de le faire de manière naturelle. Puis il y a un second niveau de musicalité. Les mots que je prononce font partie d’une dynamique qui part de ton, rythme et volume, que je ne choisis pas, que j’improvise. J’ai un thème musical, comme un musicien de jazz, et avec cela j’improvise ».
Discours à la Nation est né de l’envie de Jean-Louis Colinet de créer un spectacle mis en scène par Celestini mais joué par un autre. Il lui présente David Murgia, jeune comédien prometteur, qui rêve de travailler avec lui. On a demandé à David s’il connaissait déjà le théâtre de Celestini et pourquoi il avait envie de travailler avec lui :
« C’est Ascanio qui m’a appris que ce métier-là, finalement, il est possible que je le fasse toute ma vie.
Que ce métier a un sens, que c’est vraiment un beau métier.
Que la vie qu’on observe, on peut la transformer en histoires, accessibles.
Que la colère de mon adolescence, je ne devais pas la ventiler, hurler ici et là, et par là faire étalage de mon impuissance.
Cette fureur il me fallait la refroidir, la contrôler. M’assagir. La transformer en une froide résolution de penser.
Et qu’il me fallait distinguer ma vie artistique de ma vie citoyenne, même si, inévitablement, l’une se nourrit de l’autre. Depuis que je suis tout jeune acteur, je suis dans le public d’Ascanio Celestini. J’ai beaucoup appris de son rapport au métier. Ascanio est comme un artisan dans son atelier. Le rencontrer et mener ce travail avec lui est une des plus belles aventures qu’il m’ait été donné de vivre ».
Celestini de son côté ne voulait pas écrire un texte spécialement pour David. Ils travaillent donc ensemble, à partir d’histoires écrites par l’auteur, que Patrick Bebi traduit, et sur lesquelles David improvise.
Celestini metteur en scène se voit plutôt comme un médecin par rapport à l’acteur. Il dira à David : « Je sais comment soigner ta maladie mais ta maladie c’est toi qui l’as. Toi tu sais où ça te fait mal. »
(…)
La suite de ce texte, paru dans le #120 d'Alternatives théâtrales, est consultable en ligne sur notre site.
Discours à la Nation est actuellement repris au Théâtre National (Bruxelles) jusqu'au 6 mai.