Miet Warlop est une artiste qui travaille à la croisée du théâtre et des arts plastiques. Dans Mystery Magnet, elle construisait une fresque progressive au gré des matières et de ses propres interprètes. Elle nous revient avec une performance qui tient à la fois du concert pop-rock et de l’installation vivante. Un parallélépipède blanc occupe le centre et y reçoit autant les banderilles mortelles du torero qu’il sert de support à un étrange Christ en croix… Pendant ce temps, les percussions développent leur propre concert, les plafonds dégoulinent et les performeurs alternent entre guitares et batteries pour finir en un délirant cover band ! Pulsé, chatoyant, voyage dans un délire pas si fou qu’il n’en a l’air…
Mais qu’est-ce que c’est que ce bloc qui se trimballe sur scène ?
Support d’un pivot, table de lévitation, taureau dans l’arène, Golgotha… Miet Warlop entraine l’imaginaire de son spectateur au gré d’indices scéniques savamment distillés. La matière brute, plasticisée par la lumière et les accessoires, détourne les lois de la représentation. Elle force au mime tout en affichant les stigmates vivants de ses manipulations. Le bloc géant est troué, griffé tant il est tordu par les détournements et retournements. Il garde la mémoire de ses expositions successives pour devenir une sculpture de son propre usage. La scène agit sur le polystyrène comme le burin taillerait dans le marbre.
Mais qu’est-ce que c’est que ces cordons ombilicaux qui relient les instruments ?
Chez Miet Warlop, les instruments ont une vie propre, reliés à une matrice invisible qui les anime et les nourrit. Les batteries s’animent et se répondent, elles forment famille et deviennent les comparses du musicien/performeur et plus seulement son instrument. Les cordons multicolores qui les connectent, simplement protègent et alimentent. Mais laissés à leur épaisseur visqueuse, ils délimitent une irrigation horizontale bientôt rattrapée par les coulées liquides verticales qui frapperont chacun des tambours.
Mais qu’est-ce que c’est que ces vélos ?
D’un tandem accroché dans le dos des spectateurs surgissent des effets de lumière façon artisanat ancestral. Triturée, la lumière est partie intégrante de ce traitement faussement banal de la matière. Tournées à la main devant un projecteur, les roues à rayons tendus de gélatines de couleur, ou garnies de cartons troués, provoquent une fête foraine dont l’intensité jubilatoire accompagne les moments les plus pop music. Le défaut de technologie, le savamment négligé, renvoie au traitement brut de la scène et à l’exposition permanente des astuces de l’œuvre en train de se construire dans l’atelier offert au regard.
Mais qu’est-ce que c’est que ces ballons ?
Pulsés, ils font une chorégraphie rythmique et chorale. Miet Warlop fait usage du sol comme d’un élément détonateur de son univers sonore. Les rebonds structurés par les mains coordonnées des performeurs agrandissent de manière sauvage l’écho des percussions plus organisées des instruments. Sur les ballons, les corps penchés sont plus fragiles, plus proches du dérapage. Encore une fois, l’usage d’un accessoire d’une apparente simplicité vient au contraire épaissir le rapport à ce qui est en train de se fabriquer. Rendue à son aléatoire liberté, une autre sphère aura le loisir de tracer des courbes mobiles entre les composantes statiques du studio mis en scène.
Mais qu’est-ce que c’est que cette machine fontaine ?
D’abord tombée des cintres, enfin l’eau jaillit. La mécanique des fluides prend le pouvoir sur le plan visuel comme sur le plan sonore. L’installation s’autonomise en son, en lumière et en mouvement, tandis que les matériaux humains, corps occupants, sont alors maintenus dans des rôles de divertissement. Ce ne sont plus eux qui contrôlent les objets, ils ne font que les entourer de leur présence et musique ; ils les mettent en valeur.
Au gré d’un apparent délire, sympathiquement foutraque et drôlement interprété, Miet Warlop convie à une leçon de choses qui, sans être tout à fait calée encore dans certaines de ses propositions, convie le spectateur à ressentir son propre rapport aux matières qu’elle appréhende sur cette scène faite studio plastique. Et en musique et en chansons qui plus est, pour rendre la chose agréable. A découvrir sans bouder son plaisir.
Après sa création au Kunstenfestivaldesarts, Fruit of Labor sera présenté au Festival Latitudes contemporaines à Courtrai (BE), à La Batie de Genève (CH), au Vooruit de Gent (BE), au Festival Actoral à Marseille (F) et à La Villette à Paris (F). Toutes les dates de tournée.