Le décès de Philippe van Kessel a profondément affecté le monde du théâtre en Belgique et au-delà.
Les nombreux hommages parus dans la presse et sur les réseaux sociaux témoignent du rôle éminent que Philippe a joué dans la vie théâtrale belge et internationale, mais aussi de ses profondes qualités humaines.
Il a depuis le début été lié à la vie d’Alternatives théâtrales. Membre du premier comité de rédaction de la revue, celle-ci a rendu compte de son travail, de ses positions, de son engagement tout au long des années où il a exercé les métiers du théâtre comme acteur, metteur en scène, pédagogue, animateur et directeur.
Philippe a permis aussi, à plusieurs reprises, par son réseau de relations, que d’importants financements publics et privés soient consacrés à nos publications.
En attendant que la revue donne un éclairage sur l’aventure artistique menée par Philippe Van Kessel – et son importance dans la création théâtrale belge depuis les années 1970 où il fit ses premières armes jusqu’aux années 2000 où il dirigea le Théâtre National, voici des extraits de l’introduction au numéro spécial publié par Alternatives théâtrales en en 2007 (1) qui faisait le bilan de ses quinze années de direction (1990-2005)
« Quand Philippe van Kessel arrive aux commandes du Théâtre National, il jouit d’une grande expérience. Comme metteur en scène, particulièrement du répertoire allemand contemporain, il s’est tissé un réseau de relations dans les maisons de la culture et foyers culturels de Wallonie, mais aussi en France où il a beaucoup tourné. Il a créé une compagnie et inventé un lieu théâtral où le public bénéficie d’un accueil chaleureux. En déménageant son théâtre de la petite salle de la rue Sainte-Anne aux espaces plus vastes de la rue des Tanneurs, il a été confronté à des problèmes techniques et scénographiques qui l’aideront dans sa prise en charge du théâtre de la Tour Rogier. A côté de ses mises en scène propres, il a aussi assuré à l’Atelier Sainte-Anne une programmation de saison, ce qui lui permettra de trouver un bon équilibre dans celle qu’il aura en charge au Théâtre National.
Pour toute une génération qui, depuis une vingtaine d’années, attend que le Théâtre National devienne à la fois une référence et un interlocuteur, la nomination de Philippe van Kessel suscite un immense espoir.
D’emblée on s’aperçoit que, s’il a conscience d’être à la tête d’une institution avec les contraintes et les responsabilités que cela implique, il ne renie pas son engagement pour un théâtre contemporain ancré dans les questions politiques, sociales et artistiques. C’est avec audace et courage qu’il ouvre sa première saison en mettant en scène deux pièces de Heiner Müller : Germinia Mort à Berlin et La Bataille.
Malgré le handicap majeur dont il hérite (le remboursement de 90 millions de francs belges – soit l’équivalent de 2.231.000 € de dettes qu’il parvient à assurer en 5 ans), il mettra un point d’honneur à garder auprès de lui l’équipe technique et administrative du théâtre, et parviendra au cours du temps à insuffler un esprit maison empreint d’attentions et de solidarité… »
« Yannick Mancel, qui sera un infatigable spectateur des réalisations théâtrales qui se créent dans les années 1990 à Bruxelles et en Wallonie. Grand connaisseur de l’histoire du théâtre, critique et lecteur avisé, Yannick Mancel sera un conseiller artistique exemplaire… »
« Philippe van Kessel est parvenu à donner au Théâtre National une véritable envergure internationale. Par la présentation d’une série de spectacles invités dans le cadre de ce qu’il baptise « Grande Scène d’Europe« , il permet au public d’aller à la rencontre de metteurs en scène qui auront marqué la fin du XX° siècle : Benno Besson, Didier Bezace, Luc Bondy, Stéphane Braunschweig, Lev Dodine, Declan Donnelan, Alain Françon, Brigitte Jacques, Matthias Langhoff, Jacques Lassalle, Georges Lavaudant, Denis Marleau, Silvio Purcarete, Claude Stratz, Bob Wilson, …
Lorsque la confiance s’installe, c’est tout un cheminement qui se dessine, comme ce fut le cas avec Jean-Claude Berutti et avec Jean-Marie Villégier, dont les mises en scène de Corneille sont restées gravées dans les mémoires enchantées des spectateurs mais aussi dans celles des acteurs du Théâtre National pour qui ce fut un nouvel apprentissage du vers classique et de l’univers baroque.
Cette fenêtre ouverte sur l’extérieur ne se faisait pas au détriment de notre patrimoine d’auteurs. Malgré ses missions et responsabilités de première scène de la Belgique francophone, le Théâtre National de Jacques Huisman avait été plus que frileux. Grâce à la politique volontariste de Philippe van Kessel, on verra se créer sur la scène du TNB des pièces d’Eddy Devolder, Paul Edmond, Michèle Fabien, René Kalisky, Jean Louvet, Pierre Mertens, Jean-Marie Piemme, Patrick Rogiers, …
Étranglé au début de son mandat par les problèmes financiers et affaibli à la fin de celui-ci par le déménagement provisoire du théâtre dans les locaux peu adaptés du Cinéma Palace, Philippe van Kessel, tout en mettant son théâtre à la disposition d’autres créateurs belges et étrangers, est parvenu à poursuivre son activité de metteur en scène. Fidèle à son répertoire allemand de prédilection, il s’aventurera avec bonheur dans d’autres univers aussi différents que le théâtre élisabéthain ou les pièces de Labiche ou Maïakovski. Il fit découvrir à son public un immense auteur, George Tabori, dont il créa en langue française Le Courage de ma mère. Lors des répétitions de cette pièce, il vécut lui-même un épreuve personnelle terrible… Or, si pour Tabori « dire la vérité est une souffrance »… « l’humour est une bouée de sauvetage ». C’est sans doute pour cette raison que ce spectacle restera gravé comme un manifeste de résistance au malheur.
On ne peut oublier la fidélité que Philippe a témoigné au couple Michèle Fabien – Marc Liebens dont l’œuvre croisée a pu trouver sur la scène du Théâtre National sa véritable ampleur. Spectacle phare, Amphytrion de Kleist mis en scène par Liebens dans l’adaptation de Michèle Fabien a rassemblé durant trois saisons un public de tous les âges et de toutes les origines sociales, et restera une des expériences intellectuelles et sensibles les plus fortes de la période van Kessel. Comme aussi le Rwanda 94 du Groupov et Jacques Delcuvellerie : par la présentation de ce spectacle fleuve, le Théâtre National affirmait la fonction éthique du théâtre.«
Le théâtre National 1985-2005 Les mouvements d’une histoire, ouvrage hors-série de la revue Alternatives théâtrales, Bruxelles 2007.