Tabataba de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Stanislas Nordey
Stanislas Nordey aime à rappeler son engagement pour un « théâtre élitaire pour tous » cher à Antoine Vitez.
En reprenant, plus de 20 ans après, sa mise en scène de Tabataba qu’il avait créé dans les quartiers de Seine-Saint-Denis alors qu’il dirigeait là-bas le théâtre Gérard Philippe, il permet à de nouveaux publics éloignés des grandes scènes de théâtre de découvrir ou redécouvrir un texte peu joué et méconnu de Bernard -Marie Koltès ; la revue Alternatives théâtrales avait publié Tabataba en février 1990, alors qu’il était inédit, dans le numéro emblématique (1) consacré à Koltès quelques mois après sa disparition prématurée : il avait 41 ans.
Cette nouvelle version créée durant l’été 2021 à Strasbourg, et destiné à l’itinérance, est reprise en ce début d’année 2022 dans le programme que la Comédie de Valence – Centre Dramatique National Drôme-Ardèche – propose dans une douzaine de lieux des deux départements.
Les deux interprètes de la pièce, Jisca Kalvanda et Emile Samory Fofana, sont issus du programme « premier acte » qui vise à promouvoir une plus grande diversité sur les plateaux de théâtre en formant de jeunes artistes participant à des ateliers pratiques et théoriques menés par des professionnels de renom.
Dialogue entre un frère et une sœur dans une ville ou un village qui pourrait être situé quelque part en Afrique de l’Ouest, le texte de Koltès est à la fois extrêmement concret : atelier de moto, outils, cuisine, vêtements sont le quotidien des deux protagonistes enfermés dans une cour dont ils ne peuvent ou ne veulent pas sortir et en même temps espace de sentiments et « dispute » d’où affleurent et se déploient les questions essentielles de leur rapport au monde : les autres, le regard des autres, le plaisir, la honte, la camaraderie, le sexe, l’amour, le désir, la solitude. Entre violence et tendresse, intelligence et révolte, le corps et la voix des interprètes renvoient à l’universalité de la difficulté des liens à établir entre individu et société.
Le travail sur le texte des deux interprètes est admirable : Emile Samory Fofana fait vibrer son grand corps athlétique sans un mot durant les 15 premières minutes, en s’affairant à la réparation de la moto, véritable partenaire du spectacle, qu’on l’imagine monter et démonter chaque jour…
Avec une diction remarquable qui fait résonner chaque mot Jisca Kalvanda donne à entendre la force et la beauté de la langue de Koltès.
Tous les deux habitent avec intensité ce texte qui s’apparente à un dialogue philosophique et s’achève dans l’élégance des mouvements des interprètes/danseurs qui s’abandonnent à la musique de Bob Marley.
A Mollans-sur-Ouvèze dans la Drôme où j’ai pu voir le spectacle, on sentait durant la représentation cette communion de destins qui émanait de la représentation : les dieux du théâtre nous rendaient Koltès dans une bouleversante leçon d’humanité.
(1) KOLTES, Alternatives théâtrales n°35-36, février 1990, épuisé, mais que l’on peut commander en format pdf.
(2) A ce sujet, lire : « Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes ? », Alternatives théâtrales N° 133, nov. 2017.