La Traviata, à choeur ouvert

En plongeant les spectateurs dans une répétition de «La Traviata», Jean-François Sivadier décrypte avec une lucidité joyeuse le monde de l’opéra autant qu’il abolit les frontières entre scène et salle. Retour, avec le metteur en scène, sur ce spectacle créé il y a vingt-deux ans, et qui est actuellement repris à la MC93 de Bobigny dans le cadre du festival Paris l’été.

Vincent Guidon et Charlotte Clamens dans "Italienne, scène et orchestre", mise en scène Jean-François Sivadier. ©Marie Clauzade.

En passant la porte du théâtre pour voir le spectacle Italienne scène et orchestre, ne pensez pas venir en tant que « simples » spectateurs. Jean-François Sivadier et ses fidèles compagnons de route ont tout orchestré pour que le public soit immergé dans un processus de création. En rendant poreuse la traditionnelle frontière scène – salle, ils invitent les spectateurs à devenir de véritables partenaires de jeu de l’œuvre en train de se créer.

Dans le hall, un documentaire sur la diva interprétant le rôle de Violetta tourne en boucle. Dans les couloirs, des notes de service et des articles de presse habillent les murs. Convié à entrer par les coulisses, le public prend place sur le plateau, sous les cintres, aux côtés des comédiens pour le début de la répétition. Après l’entracte, une porte dérobée mène les spectateurs à la fosse d’orchestre, ils sont invités à s’installer aux pupitres, tels des musiciens guidés par la baguette de leur chef.

Au départ de ce projet, en 1996, il y a un défi artistique initié par Laurent Pelly pour Le Cargo de Grenoble. « L’enjeu du festival était de commander à des metteurs en scène des petites formes, avec deux ou trois comédiens, et qui pouvaient se passer n’importe où dans le théâtre, sauf sur le plateau », se souvient Jean-François Sivadier. Très vite, la contrainte devient créative. Depuis longtemps fasciné par le monde de l’opéra, le metteur en scène se focalise sur les répétitions et écrit la partie orchestre. « Je suis assez vite tombé sur La Traviata parce qu’il y avait un parallèle entre la diva et l’histoire de cette femme, Violetta, qui chante jusqu’à la mort », raconte-t-il. Séduit par cette première expérience, il décide en 2003 de prolonger le concept : il écrit la partie scénique, ajoute des personnages et détourne la contrainte. Cette fois, la scène se passera bien sur le plateau, mais le public, lui aussi, y aura accès.

De la dramaturgie de l’œuvre de Verdi aux conditions de production, la troupe ausculte avec minutie le fonctionnement de l’opéra et ses plannings millimétrés. Dans ce chassé-croisé de personnages, le metteur en scène, habité par sa lecture shakespearienne de l’œuvre, déjoue les certitudes d’un ténor trop bavard et d’une diva caractérielle. Le chef d’orchestre, quant à lui, impose sa vision d’une certaine lenteur nécessaire à la dramaturgie, par-delà les critiques du metteur en scène qui s’offusque d’une Traviata à la Duras.

Pour cette plongée opératique, nul besoin d’être expert en la matière. Le spectacle, note Jean-François Sivadier, joue sur les archétypes du milieu et donne à voir une vision condensée, comme essentialisée, de la réalité des répétitions d’opéra. Il s’adresse alors autant aux professionnels, qui souvent se reconnaissent dans l’un ou l’autre des personnages, qu’aux néophytes qui parfois redoutent l’élitisme de cet univers. On songe alors à cette anecdote racontée par le personnage de Teresa, incarnant le rôle d’une jeune première. Si elle chante, explique-t-elle, c’est pour cette femme découvrant l’opéra pour la première fois qui vint lui glisser à l’oreille avec émotion, à l’issue de la représentation : « je ne savais pas que Mozart parlait aussi de moi ».

Un rythme enlevé pour une traversée jubilatoire : comme toujours chez Sivadier, le théâtre se joue avec générosité. On rit allègrement avec ces personnages autant que l’on s’émeut de leurs difficultés. Et ce, toujours, pour atteindre la joie, à l’image de ces mots que le metteur en scène adresse au ténor : « C’est pour atteindre la joie qu’on chante des choses tragiques. »

Italienne, scène et orchestre
Texte et mise en scène : Jean-François Sivadier / collaboration artistique : Véronique Timsit / avec Nicolas Bouchaud, Marie Cariès, Charlotte Clamens, Vincent Guédon, Jean-François Sivadier, Nadia Vonderheyden / son : Jean-Louis Imbert / lumières : Jean-Jacques Beaudouin / régie générale : Laurent Lecoq
Festival Paris l'été
Du 9 au 28 juillet À 19H (sauf les samedis à 16H et relâche le dimanche). Durée : 3H30 avec entracte

MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis • Bobigny
 9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny
 M5 Bobigny – Pablo Picasso + 5 minutes à pied
 T1 Station Hôtel-de-ville de Bobigny – Maison de la Culture

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