Gen Z : L’art de la sublimation par Salvatore Calcagno

Gen Z, Salvatore Calcagno. Photo Michel Boermans.

La jeunesse est belle et lucide, quoiqu’on en dise. Voilà ce qu’affirme plus ou moins Gen Z, nouveau spectacle de Salvatore Calcagno qui raconte la génération Z en lui laissant la parole et en la magnifiant.

Connu pour ses spectacles raffinés qui subliment les figures féminines ou font de la scène un espace de fantasmes et de désirs, le metteur en scène bruxellois Salvatore Calcagno offre ici un spectacle plus social sur la jeunesse et sur l’Europe. Ancrée dans une démarche documentaire, la pièce est néanmoins toujours portée par un regard ennoblissant, qui, s’il ne parvient pas à approfondir toutes les pistes défrichées, dessine d’un trait flamboyant une jeunesse inspirante et stylisée.

La matière première de ce spectacle est vertigineuse. Les spectateurs qui prennent aussi le temps d’aller voir l’exposition Gen Z au Cinéma Galeries en auront un vaste aperçu. Sur les murs de longs corridors s’affichent les photos d’adolescents et jeunes adultes rencontrés par Calcagno et son équipe en Serbie, en Espagne, en France, en Estonie et en Belgique, où ils ont récolté leurs paroles et sondé leurs pensées sur leurs vies, sur l’école, les réseaux sociaux, le terrorisme et le sexe, entre autres.

Leur parole est brute et multiforme, parfois colérique, parfois naïve, parfois clairvoyante. Leur image est léchée, soigneusement travaillée et montrée sous la meilleure lumière. Exactement comme l’est le spectacle né de ces rencontres et interprété en partie par de jeunes comédiens amateurs jouant par moments leurs propres rôles : une incarnation de la densité de la parole de ces jeunes autant qu’une exposition soignée de leur beauté plastique. Tel un écho à la splendeur du monde et à l’espoir d’une Europe meilleure.

C’est le regard Calcagno. Une certaine sagacité devant les problèmes de l’humanité, mais une conviction que la beauté est toujours triomphante.

Un monde techno qui n’a rien d’inhumain

Impossible d’éviter, avec ces jeunes nés après 1995, le thème de la surabondance des écrans et de la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux. Loin du portrait alarmiste qu’en dressent parfois certains médias, les jeunes interrogés par Salvatore Calcagno et ses complices Antoine Neufmars et Emilie Flamant se montrent conscients des dérives possibles de leur utilisation d’Instagram ou de Snapchat mais revendiquent une meilleure mise en relief des avancées permises par ces plateformes. Autrement dit, ils sont en quête de nuances – et ils ont bien raison. Soucieux de protéger leur vie privée ou de réfléchir aux excès de mise en scène auxquels ils se soumettent, ils n’en sont pas moins enthousiastes devant les mondes technologiques qui s’offrent à eux, vus comme un fécond territoire d’expression.

Si l’écran domine une partie de leurs vies, ce sont bel et bien des êtres de chair qui prennent parole et qui manifestent, par ailleurs très sensuellement, l’organicité de leur appartenance au monde. Le spectacle, protéiforme et multidirectionnel, aborde pêle-mêle les questions de sexualité et d’identité de genre, de rapport à l’autorité et au pouvoir (l’école et le contexte de la classe servent souvent de métaphores pour illustrer d’autres structures politiques), de féminisme et de masculinité, de quête de savoir et d’émancipation personnelle, et de la présence de l’art dans un monde qui en a bien besoin.

Leur rapport à leur pays et à l’Europe est également l’un des moteurs discrets de l’action scénique. Partir ou rester?, leur demande Salvatore Calcagno, apparu sur scène en deuxième partie du spectacle. La réponse est presque toujours « rester ». Car ces jeunes-là sont nés dans une Europe globalisée dans laquelle, malgré les apparences, l’épanouissement et la paix sociale semblent presque à portée de main.

Un tissage dramaturgique un peu compliqué

Parfois confus dans ses volontés d’allier dramaturgie et esprit documentaire, le spectacle s’entête un peu trop à créer des situations narratives classiques, mettant en scène une classe chaotique où l’on tente des exercices de démocratie, ou un triangle amoureux inextricable qui donne lieu à quelques numéros de charme. Ces saynètes, si elles semblent rassurantes pour les comédiens amateurs réunis par Calcagno, distraient souvent trop le spectateur du réel propos et de la force brute des prises de parole. Elles créent un fort sentiment d’identification aux personnalités de Rayhane, Raphaëlle, Narcisse, Sarah, Daniel, Fatoumata et Madalina, mais elles empêchent de bien savourer leur rôle de porte-voix des paroles des autres, en particulier quand le spectacle leur met en bouche les mots de jeunes serbes nationalistes de droite.

Si les tentatives de narration ne rendent pas toujours service au spectacle, Calcagno invente en revanche un langage visuel et corporel puissant : danses, lypsinc et courtes vidéos forment un patchwork efficace et éclaté pour raconter une jeunesse inspirée, éclatée et radieuse.

Cette génération Z est-elle si différente des précédentes? Peut-être pas de la génération Y, qui la précède de peu et à laquelle Calcagno et ses comparses appartiennent. En utilisant en partie la trame sonore de Trainspotting, film culte des ados des années 90, le metteur en scène souligne cette filiation entre la jeunesse d’hier et d’aujourd’hui. L’avenir, toutefois, semble plus radieux pour ces jeunes-là que pour les toxicos désemparés du film de Danny Boyle.

À voir au Théâtre des Tanneurs jusqu’au 3 mars.
Du 6 au 8 mars à Mars - Mons et 18 et 19 mai au Central à La Louvière.

Gen Z, Searching for Beauty
Mise en scène Salvatore Calcagno

Ecriture Salvatore Calcagno, Emilie Flamant et Antoine Neufmars

Avec Diogo Alves, Sara Badi, Aziz Delire, Fatoumata Diallo, Nisrine Harrak, Madalina Iolu, Wassima Jerrari, Narcisse Joao, Rayhane Kaapoun, Daniel Rampello (un groupe de jeunes acteurs non-professionnels) et Raphaëlle Corbisier, Egon Di Mateo, Emilie Flamant, Pauline Guigou Desmet, Manon Joannoteguy, Antoine Neufmars et Sophia Leboutte

Scénographie et lumières Simon Siegmann

Création vidéo Zeno Graton

Caméraman Simon Fascilla

Direction technique Philippe Baste

Maquillage Edwina Calcagno

Collaboration artistique Sofie Kokaj

Aide à l'élaboration de l'environnement sonore Jean-François Lejeune

Conseiller dramaturgie Sebastien Monfé

Assistante scénographie et lumières Angela Massoni

Aide aux costumes Adriana Maria Calzetti

Assistant direction technique Malo Martiny

Construction décor Fred Op De Beeck et Pierre Ottinger

Production Manon Faure

Accompagnement à la diffusion Sabine Dacalor

Prise de vue et étalonnage teaser Bram Droulers

Création et montage teaser Lucien Gabriel et Thomas Xhignesse

Les jeunes acteurs non-professionnels sont issus de la classe de 7ème PC de l'Institut des Filles de Marie à Saint-Gilles. Ils sont encadrés pour ce projet par leur professeure principale, Stéphanie Laurent.

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