« Identité(s) au pluriel » (entretien avec Hocine Chabira)

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie prochaine du #133) : entretien avec Hocine Chabira, directeur du festival « Passages » (Metz)

Photo D.R.

OBSTACLES

Il est d’usage aujourd’hui de critiquer les théâtres publics au motif de leur incapacité à intégrer la diversité culturelle de nos sociétés multiculturelles ? Existe-t-il, selon vous, un problème spécifique d’accès des artistes issus de l’immigration aux scènes européennes ?

C’est évident ! J’ai souvent entendu de la part d’artistes issus de l’immigration leur difficulté à sortir de rôles assignés en fonction de leur origine. La couleur de peau ou l’origine ne devrait pas être un critère de sélection lors des castings.

Comment se  traduit  l’injonction  contradictoire des  pouvoirs  publics  sur  ce  qui  est devenu un enjeu politique d’affichage et de visibilité, tout en soulevant des débats de fond au sein d’une société marquée par la fracture coloniale ?

Et pourtant cette « injonction » est assez timide en France. On parle davantage d’identité nationale que de multiculturalisme. On n’en a pas fini avec notre histoire coloniale et en même temps comment dépasser cela quand notre société est malheureusement toujours imprégnée de relents postcoloniaux à tous les niveaux ?

Il semble que le théâtre soit à la traine d’une tendance à la diversification des artistes sensible en particulier dans la danse ou la musique, et à plus forte raison dans l’audiovisuel, depuis des années ? Pourquoi une telle résistance ou réticence ?

Il y a d’un côté des metteurs en scène et des directeurs de lieux qui n’ont pas pris la mesure  et  l’importance  de  la  diversification  des  artistes.  Combien  de  fois  ai-je entendu que l’Avare ne pouvait pas être joué par un noir ou que choisir un arabe pour interpréter Sganarelle était un acte politique ? Il faut changer ces mentalités d’un autre âge. Et d’un autre côté trop peu de jeunes issus de l’immigration choisissent le théâtre comme voies professionnelles et comment pourrait-il en être autrement quand ce même théâtre ne leur ressemble pas et va même jusqu’à les exclure.

Peut-on dire que le spectacle vivant en France est encore prisonnier d’un « système d’emplois » d’autant plus efficace qu’il ne se déclare pas comme tel, voire qu’il n’a pas conscience  de  lui-même ?  Peut-on  y  voir  la  résurgence  d’une  histoire  du  théâtre marquée par les spectacles exotiques, freaks shows ou encore slide shows, dont Sarah Baartman la « vénus hottentote » ou « vénus noire »,  le clown Chocolat et la danseuse Joséphine Backer ne sont que les figures saillantes ?

Le spectacle vivant en France et la société française dans son ensemble sont bien entendu enfermés dans des représentations postcoloniales. Il est temps de sortir de ces représentations.

Comment sortir d’un système de distribution où les comédiens issus de l’immigration sont le plus souvent relégués à des rôles subalternes, ou pire, à des rôles les conduisant à surjouer les stéréotypes ethniques ou raciaux imposés par la société ?

Je suis personnellement pour l’interdiction par la loi de castings mettant en avant des critères de couleurs de peau, d’origine ou d’accent… Je suis pour une discrimination positive mais non publique pour ne pas discriminer d’une autre manière les personnes issues de l’immigration. Je suis pour qu’on arrête de dire « issu de la diversité », qu’on appelle un chat un chat et donc si on veut parler de Noirs et d’Arabes, parlons de Noirs et d’arabes. Je suis pour qu’on explique à l’école que l’Identité est à utiliser au pluriel et qu’elle se construit, que c’est une notion dynamique, mouvante et plurielle.

« On ne devient pas ce qu’on est mais on est ce qu’on devient » Jean-Loup Amselle

La couleur de peau ou l’origine ne devrait jamais entrer en ligne de compte dans les recrutements quels qu’ils soient.

LEVIERS

Comment élargir le recrutement des lieux de formation aux métiers de la scène et du plateau, sans pour autant tomber dans les travers et effets pervers d’une politique volontariste ?

J’ai entendu dire par un élève qui se présentait au concours d’une grande école : je n’ai pas beaucoup de chance de réussir à cette école car je ne suis ni noir ni arabe. Même si trop peu d’écoles pratiquent la discrimination positive, il est important qu’elle ne soit pas rendue publique. Les directeurs doivent s’emparer de cette responsabilité afin de changer les mentalités et les représentations. En France, 40 % des personnes nées entre 2006 et 2008 ont au moins un parent ou grand parent immigré il est important de le rappeler !

(…)

La suite de cet entretien sera prochainement en accès libre dans notre dossier "diversité".
BÉRÉNICE, UN RÉSEAU D’ACTEURS CULTURELS ET SOCIAUX EN GRANDE RÉGION POUR LUTTER CONTRE LES DISCRIMINATIONS.

Contact : Anne Voreux
Chargée de projet Bérénice et des relations publiques

Passages 10, rue des Trinitaires 57 000 Metz
 +33 (0)3 87 17 07 06
 +33 (0)6 88 31 33 54

festival-passages.fr

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Auteur/autrice : Sylvie Martin-Lahmani

Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines. Particulièrement attentive aux formes d’arts dits mineurs (marionnette, cirque, rue), intéressée par les artistes qui ont « le souci du monde », elle a été codirectrice entre 2016 et 2021, et est actuellement directrice de publication de la revue Alternatives théâtrales.

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