L’art de surtitrer : voyages en langues étrangères

"Odypus der Tyran", mise en scène de Romeo Castellucci, régie surtitre Michel Bataillon. Photo © Pierre-Yves Diez

Jadis, il y a bien longtemps, on prenait le temps de lire la pièce dans sa traduction avant de se rendre au théâtre ou à l’opéra pour assister à sa mise en scène en langue originale.

Aujourd’hui, les surtitres sont là pour nous donner la « substantifique moëlle » d’un texte, en direct et en synchrone avec les acteurs sur scène. Quelle magnifique invention ! Quel luxe pour le spectateur, assis confortablement, qui n’a plus qu’à lever les yeux pour comprendre la signification d’une tirade en langue inconnue.
Les premiers surtitres ont été lancés à la Canadian Opera Company de Toronto pour Elektra de Richard Strauss, le 21 janvier 1983. Ils étaient alors affichés au moyen d’un projecteur à diapositives.

Ce temps est révolu, de nos jours on envoie les surtitres (dans le jargon, on dit qu’on « tope ») à l’aide d’un ordinateur (et donc d’un logiciel adapté, voir note 1), d’un vidéo projecteur ou de panneaux LED. Ces derniers remportent de plus en plus de succès grâce à leur belle luminosité et leur praticité.

À l’opéra, le surtitrage est lié à la partition, à la musique: il est moins perméable ; au théâtre, il est lié aux propos des comédiens : c’est du cousu sur mesure, chaque soir.

Le surtitrage au théâtre se partage en trois fonctions distinctes, qui peuvent être exercées par une seule et même personne : la traduction littéraire (théâtrale), la rédaction des titres (ou le « découpage ») et la régie des titres (ou le « topage »).

Le traducteur – régisseur de surtitres (ou « topeur ») a plusieurs contraintes : il doit d’abord se procurer une traduction ou traduire lui-même la pièce ; ensuite, visionner le spectacle, soit dans une captation (vidéo ou audio), soit, au mieux, en suivre les répétitions. Avec ce matériau, il va se mettre à la découpe. C’est-à-dire qu’il va délimiter le texte en segments, en suivant les tempi donnés par les acteurs. Ce sont ces phrases ou morceaux de phrases qui seront affichés sur les panneaux graphiques (ou projetés) lors des représentations.

La règle d’or pour le traducteur / découpeur est la suivante : le fragment de texte doit se lire commodément. Une tâche qui peut se révéler plus complexe qu’il n’y parait. Il faut maximum deux lignes de cinquante signes (espaces compris) ; si c’est plus long, le spectateur se mettra en mode « lecture analytique » et risquera de s’y perdre (au lieu de suivre le spectacle). Ensuite, chaque segment doit avoir une unité grammaticale.

Enfin, last but not least, le traduttore traditore doit, pour calibrer le mieux possible ses segments, se débarrasser de tout le superflu : virés les jolis qualificatifs trop longs, oubliées les circonstancielles élégantes… On « dégraisse » le plus possible sa belle traduction de départ, on synthétise, on va à l’essentiel, on jongle avec les synonymes…
Mais le plus dur reste à venir.

Quel est le péché capital pour un surtitreur ?

Délivrer dans un titre une information qui n’a pas encore été jouée. S’il grille l’effet d’un comédien, c’est lui qui est grillé. Il doit faire preuve d’une concentration à toute épreuve : en moyenne, il « lance » un titre toutes les huit secondes.

Comment ne pas admirer, parmi tant d’autres, le régisseur titre du dernier spectacle de Joël Pommerat en tournée, Ça ira : quatre heures sans pause, ce sont des milliers de « tops » tous les soirs. Il faut un certain sang froid.

Quel est le cauchemar du surtitreur ?

Lorsque le comédien « saute » une partie de texte (surtout quand il s’en rend compte et « revient en arrière »).

Les meilleurs surtitres sont les plus discrets, ceux qui « coulent » en douceur dans la scénographie et accrochent le moins possible l’œil du spectateur². C’est un véritable défi pour le metteur en scène d’associer la lecture à sa mise en scène. En effet, on ne va pas au théâtre pour lire mais pour vivre une expérience esthétique qui privilégie l’écoute et la vision. C’est pourquoi, avant de mettre en chantier des surtitres, il est indispensable d’acquérir le plus tôt possible la complicité du metteur en scène, de prendre le temps de placer les surtitres au mieux pour ne pas détruire le spectacle ni le confort du spectateur. Certains grands metteurs en scène l’ont compris depuis longtemps : Thomas Ostermeier, par exemple, pense aux surtitres dès le début d’une création.

Et puis, il faut « amadouer » les comédiens. Dans Einfach kompliziert (T. Bernhard), par exemple, dans la mise en scène de Claus Peymann au théâtre des Abbesses (Paris, 2012), le comédien Gert Voss, âgé de 71 ans, n’avait aucune envie qu’on pénètre dans sa chambre, sur scène, avec des rayons lumineux : il se sentait traqué! Il a fallu négocier avec lui, se caler sur le bon angle dans le fond, chercher une couleur qui se combine bien³…

Le surtitrage ne se fait pas par-dessus la jambe, qu’on se le dise ! Il est un art qui nous permet de voyager en terres inconnues.

Cet article s’appuye en partie sur le Guide du surtitrage qui vient de paraitre, écrit par Michel Bataillon, Laurent Muhleisen et Pierre-Yves Diez, édité par la maison Antoine Vitez. Il est téléchargeable gratuitement ici: http://www.maisonantoinevitez.com/fr/sur-titrage.html
1. Il existe plusieurs logiciels comme Impress, Keynote, Powerpoint et Torticoli. Ce dernier a été créé spécialement pour le théâtre par Pierre-Yves Diez sur une demande de Bernard Faivre d’Acier pour le Festival d’Avignon 1996.
2. D’après Mauro Conti, spécialiste de la question, les surtitres sont un « cuneo » (un coin à bois), que le spectateur doit intégrer au spectacle comme un outil de contrôle de conduite d’un véhicule : même s’il les consulte, il ne doit pas perdre de vue la route. À lire en ligne son excellent article – en italien : http://www.prescott.it/wp-content/uploads/2015/01/Mauro-Conti_Scripta-Volant-ITA.pdf
3. Cette anecdote nous a été racontée par Michel Bataillon, traducteur et régisseur titres de ce spectacle.

4. Dans l’objectif de contribuer à la diffusion des pratiques artistiques contemporaines et à la construction d’une Europe culturelle, Alternatives théâtrales développe, en parallèle à ses activités éditoriales, des services de traduction et de surtitrage. 
AT T/S coordonne une équipe de professionnels spécialisés et s’occupe de tout le processus pour le surtitrage d’un spectacle : traduction – découpage – encodage et envoi des titres. Elle peut aussi se charger d’intervenir sur place pour le placement d’écrans ou de projecteurs.
Pour ce faire, elle travaille en collaboration avec Art-com diffusion, société de développement audiovisuel basée en Avignon (France), qui a créé le logiciel Opus.

Juin-juillet-août 2017 : Conception et réalisation du surtitrage du spectacle Les Inouïs, Compagnie d’un jour, au Zomerfestival d’Anvers.

Enregistrer

Auteur/autrice : Laurence Van Goethem

Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.