Entretien avec Radhouane El Meddeb
C’est la musique live, de plus en plus présente dans ses créations depuis 2019, qui a donné l’envie à Radhouane El Meddeb de se lancer dans l’élaboration du Cabaret de la rose blanche. « L’accompagnement musical donne au mouvement une autre sensibilité, précise-t-il. J’ai du mal aujourd’hui à m’en passer. Les sons et mélodies nous meuvent. Les corps des musiciens, des chanteurs, sont également essentiels, car c’est le corps du musicien qui “fait” la musique, grâce à une voix, un instrument. C’est tellement chaud et tremblant que je ne peux plus concevoir de la danse aujourd’hui sans les corps des musiciens avec nous sur scène. Cela provoque un état d’enchantement et de ravissement qui m’est de plus en plus essentiel. C’est à la fois plus clair et plus suspendu. »
À la tête de la Compagnie de Soi depuis 2006, le chorégraphe tunisien, d’abord passé par le théâtre et une formation à l’Institut supérieur d’art dramatique de Tunis, puis consacré « jeune espoir du théâtre tunisien » en 1996, entend aussi« transgresser les formes, les genres pour parler de la vie ». « Pendant la pandémie, je me suis beaucoup questionné sur la façon de raconter le monde aujourd’hui et d’en proposer un récit. Parce que la vie est un cabaret et j’ai eu envie de m’y confronter. » Ce besoin n’est pas surprenant de la part d’un créateur qui aime rassembler les spectateurs et régulièrement tenter de fissurer, voire de briser le fameux quatrième mur. Son spectacle Je danse et je vous en donne à bouffer (2008) se déroulait devant un couscoussier et métamorphosait le geste du danseur en celui de cuistot. Pour mieux partager l’espace du plateau avec le public et nourrir un moment simple que tout le monde connaît. « Avec le cabaret, j’insiste dans ce désir d’amener la vie sur scène, affirme-t-il. Il me permet de raconter et réécrire les corps dans la danse, pour y mettre plus de sens et d’émotions. Je cherche à construire à partir d’une autre approche de la dramaturgie et de l’écriture avec la musique, les musiciens, la poésie, la littérature, pour que la danse transgresse la simplicité d’une attente festive. »
Sans référence déclarée sur le cabaret et ne « souhaitant pas en avoir », Radhouane El Meddeb a retrouvé l’une de ses sources d’inspiration de prédilection : la culture méditerranéenne, le répertoire musical tunisien, et notamment ici une histoire du cinéma égyptien. Le Cabaret de la rose blanche est d’abord le titre d’un film réalisé en 1933 par Mohammed Karim autour d’une histoire d’amour. « Mais c’est également le nom d’un mouvement allemand de résistance au nazismeapparu en 1942, ajoute-t-il. Cette double référence donne donc la couleur d’un cabaret qui rend hommage à la liberté joyeuse d’une époque et s’inscrit en résistance contre l’obscurantisme d’aujourd’hui. Il transcrit également cette dimension nostalgique mais pleine d’espoir, le rôle de l’art comme discours politique et social. »
Dans cette tension historique et politique, Radhouane El Meddeb entend « inviter un cabaret pour raconter la douleur du partir, l’exil, la traversée, l’éloignement… » Il convoque sur scène la situation des migrants, le déracinement… porté par de nouveaux corps du monde d’aujourd’hui. Et avec eux, des revendications dont celles du besoin de prendre la parole, de s’engager, de militer. « La notion de genre comme obsession ou effet de mode dans le spectacle vivant me révolte, déclare-t-il. Cela devient une chose branchée, sans sens ni pensée. L’acceptation des corps et des identités multiples, fluides, au cœur du cabaret. Il a toujours été question de genre dans mon travail, par une approche qui mêle poésie et transcendance. »
Avec sept interprètes, danseurs, chanteurs et musiciens sur le plateau, ce Cabaret de la rose blanche, sur une création musicale de Selim Arjoun, annonce sa couleur : minimaliste. Des chansons de Dalida et d’Oum Kalsoum, la présence d’un piano et d’une contrebasse, des vagues électroniques tresseront un cocon de douceur. « Il s’agit pour moi de faire une proposition intimiste, proche des spectateurs, glisse-t-il. La scénographie et les costumes mettront en avant cette simplicité, cette pureté que nous cherchons. J’aime la sobriété intelligente et élégante mais sans paillettes. Ce sera un cabaret de joie et d’amertume, centré sur l’émotion et le partage plutôt que sur l’extravagance, sans chichi ni froufrou. Une nouvelle célébration engagée dans un cabaret de l’homme exilé. »
- A voir : Le Cabaret De la Rose blanche, par Radhouane El Meddeb, au Manège de Reims le 3 février 2024
- A écouter/voir : rencontre sur le thème du cabaret le 3 février 2024 au Manège de Reims à 19h30 – à la Verrière du Manège. Modération : Sylvie Martin-Lahmani, directrice éditoriale d’Alternatives théâtrales et rédactrice en chef du N° cabaret avec Pablo-Antoine Neufmars