Bienvenue dans un futur proche, sur une banquise de plastique où deux humains, un ours polaire et quatre pingouins se heurtent aux limites du langage et à la tyrannie de la quotidienneté. Première pièce pour grand plateau du jeune metteur en scène bruxellois Silvio Palomo, Origine est un objet scénique singulier, qui distend le temps pour créer une délicieuse étrangeté. Un univers que ne renierait pas Philippe Quesne.
Sommes-nous dans un monde postapocalyptique où n’auraient survécu qu’une poignée d’humains et quelques animaux polaires? Sommes-nous sur une planète désormais envahie par le frimas et les glaces? Peu importe. S’il y a bien une évocation, en filigrane, d’un monde futuriste dénué de lumière naturelle et de végétation, et si l’on peut certes y voir une inquiétude écologique, nous voilà plutôt dans un espace imaginaire, un monde de survivance duquel émerge une certaine candeur. Sur cette terre redevenue quasi-vierge se dégage un étonnant monde de possibles. Un espace épuré et immaculé, présenté comme un monde excitant, où un homme (Aurélien Dubreuil-Lachaud) et une femme (Manon Joannotéguy) se proposent de s’installer pour dîner. Le temps d’un repas hors de l’ordinaire sur la banquise, ils rencontreront un ours ingénieux (Léonard Cornevin) et des pingouins peu à peu décalottés (Antonin Jenny, Ophélie Honor, Jean-Baptiste Polge et Nicole Stankiewicz), avec qui une communication délicate et étonnamment banale se met en place.
Diplômé de l’INSAS, Silvio Palomo développe depuis quelques années ce langage scénique tissé de dialogues anodins, de répétitions et de tics de langage. Ce qu’il appelle un « un travail sur le bavardage et la gesticulation », affirmant « suivre les pistes de la gaucherie », se dévoile sur scène comme une stimulante exploration des limites du langage. S’inscrivant en partie dans le prolongement des grands auteurs absurdes en décortiquant l’incommunicabilité, tel un Ionesco de l’écriture de plateau, il invente aussi une forme de non-jeu qui fait de la conversation ordinaire et sans artifices, à voix basse et à débit hachuré, une matière éminemment théâtrale.
Comme le faisait Philippe Quesne dans L’Effet de Serge, il donne à des événements anodins, voire médiocres, une valeur scénique indéniable, posant sur des micro-situations un regard approfondi, une loupe grossissante. L’ordinaire devient ainsi éminemment poétique, la répétition des mêmes mots (ah oui d’accord, ah oui c’est très bien) devenant peu à peu une musique aux notes savamment harmonisées. Mélodie de l’anodin, ou symphonie de l’ordinaire : le texte est indéniablement matière sonore, dont le sens est à trouver dans une écoute attentive du rythme du bavardage.
En focalisant notre attention sur certaines répétitions mais aussi sur des silences signifiants, le travail de Silvio Palomo semble également suivre l’influence de Christoph Marthaler, ce grand metteur en scène suisse-allemand passé maître dans l’art de poétiser le banal et de rendre le vide et le silence si singuliers. Palomo cultive aussi, comme Marthaler, un humour décalé qui naît de l’écoute amusée de cette musicalité particulière. Il y a ajoute toutefois des touches d’humour visuel qui lui sont plus personnelles, inventant un univers peuplé de mascottes d’animaux au look naïf et enfantin, qui seront peu à peu partiellement dévêties, révélant la part d’humanité cachée sous la candeur de l’animal. Ou la part d’animalité présente en chaque humain? C’est selon.
Travaillant avec son frère plasticien Itzel Palomo, le metteur en scène propose aussi une scénographie vivante et pleine de surprises, dont les grondements et les déplacements soudains s’ajoutent à la conversation. La banquise, au gré de ses sursauts et de sa compartimentation, offre un formidable espace de jeu, métaphore d’un monde qui unit les hommes autant qu’il les plonge parfois dans un fossé d’incompréhension.
Un travail certes encore peu affranchi de ses modèles, mais assurément une nouvelle voix à suivre sur la scène bruxelloise.
Origine, à voir à La Balsamine jusqu'au 13 oct.
Une création de Le comité des fêtes
Conception et mise en scène Silvio Palomo
Scénographie Itzel Palomo
Avec Léonard Cornevin, Aurélien Dubreuil-Lachaud, Ophélie Honoré, Antonin Jenny, Manon Joannotéguy, Jean-Baptiste Polge et Nicole Stankiewiscz
Création lumière Léonard Cornevin
Régie générale Quentin Pechon
Remerciement Gaël Renard