Ambassadrice du compositeur. Portrait de Susanna Mälkki

Alors que Susanna Mälkki était à l’Opéra de Paris pour diriger Rusalka, Leyli Dayroush s’est entretenue avec elle et nous livre un portrait qui revient sur son parcours et la vision de son métier. En partenariat avec le magazine de l’Opéra de Paris.

Susanna Mälkki © Simon Fowler

De la musique avant toute chose ?

« Enfant, j’ai débuté la musique avec le violon. Cet instrument était le choix de mes parents et il ne me correspondait pas vraiment. Vers l’âge de neuf ans, j’ai découvert le violoncelle lors d’un concert scolaire. En Finlande, à l’époque, afin d’initier les enfants à la musique, des instruments étaient mis à leur disposition à l’école, alors un jour, je suis rentrée à la maison avec un violoncelle…

Adolescente, j’étais intéressée par beaucoup de choses, je voulais étudier les langues, les sciences humaines… Mon père était scientifique, ma mère enseignait les arts plastiques à l’école. Mélomanes tous les deux, ils avaient transmis le goût de la musique à leurs enfants. J’aimais la musique bien sûr mais je n’étais pas certaine de vouloir m’y engager professionnellement. J’avais un professeur qui m’y encourageait mais pour moi, ce n’était pas évident tout de suite. Finalement, mon amour très fort pour la musique a fini par l’emporter – c’était le seul choix possible.

Je me suis préparée pour la direction d’orchestre.

Dans le cursus musical finlandais, l’orchestre fait partie de la formation scolaire. Et pendant ces années d’apprentissage, je me suis intéressée au travail du chef d’orchestre. Je n’avais aucun problème d’identification en tant que femme à ce métier mais je savais que des problèmes d’attitude surgiraient si je m’engageais dans cette voie.

Cette conscience des difficultés n’était pas seulement liée à ma condition de femme – c’est une profession parmi les plus difficiles qui existent. En vérité, avant de me lancer dans ce métier et de me confronter aux regards des autres, je voulais m’assurer par moi-même que je voulais le faire. Autrement dit, je voulais me sentir professionnellement prête, terminer avant tout ma formation de violoncelliste et jouer de la musique de chambre. Dans le contexte de la direction d’orchestre, il est essentiel d’avoir de l’expérience, et d’affiner son oreille avec la pratique d’un instrument. Je devais d’autant plus avoir cette compétence que j’étais une femme et que le niveau d’exigence serait plus élevé. Mais la motivation artistique m’a portée.

Il n’y a pas que la musique contemporaine dans ma carrière.

Déjà avant mes études de direction musicale à l’Académie Sibelius, j’étais très attirée par les œuvres contemporaines. J’y ressentais un rapport différent, direct et spontané, à la partition, et je pouvais prendre plus de risques au niveau de l’interprétation. Cette approche est différente de celle du répertoire classique car les conventions imposées y sont nombreuses, et les traditions en matière d’interprétation souvent restrictives, du moins pendant les études, hélas.

Je crois que le succès de l’école finlandaise en direction d’orchestre tient d’ailleurs à cette spécificité : c’est une formation qui permet d’acquérir tous les outils nécessaires au métier, mais c’est aussi une formation dans laquelle la responsabilité de l’interprétation est entièrement laissée au chef. L’analyse des causes et conséquences est bien évidemment présente, les questions stylistiques également, mais c’est au chef que revient l’idée initiale et précise de l’interprétation. Après tout, c’est la raison pour laquelle nous sommes là, non ?

Dans la musique contemporaine, le travail de direction d’orchestre fait souvent appel à des compétences et exigences très différentes. C’est pourquoi nous sommes moins nombreux dans ce milieu. Comme la résistance contre les femmes chefs était encore présente il y a vingt ans, j’ai eu de nombreuses et belles opportunités avec ce répertoire. J’ai toujours assuré une carrière dans tous les répertoires mais jusqu’à aujourd’hui, on a moins parlé de mon travail dans le domaine classique. Cette fausse image est peut-être liée au marketing et à l’habitude de voir un chef masculin.

À l’opéra, je suis l’ambassadrice du compositeur.

On parle souvent de confrontations entre le chef d’orchestre et le metteur en scène. Personnellement, je n’ai jamais vécu cela à l’opéra. Je pense qu’à défaut de confrontation, il y a souvent des enjeux de pouvoir. Surtout quand le travail de l’un empiète sur celui de l’autre et que la mise en scène, par exemple, empêche la musique de fonctionner. Mais la présence d’un chef d’orchestre dès le début des répétitions évite bien des tensions parce que la musique est une constante, et plus tôt la mise en scène s’habitue à l’interprétation du chef, mieux les choses avancent. En revanche, l’arrivée tardive d’un chef est problématique parce qu’il risque d’imposer des exigences sur une mise en scène bien avancée. J’apprécie le fait qu’il y ait des metteurs en scène visionnaires, avec une approche du théâtre à l’opéra. Dans ce cas-là, je me perçois comme l’ambassadrice du compositeur : si l’expression musicale demandée par le compositeur ne correspond pas, voire s’oppose à l’action scénique, il faut en discuter avec le metteur en scène, et envisager une solution qui permette aux deux mediums de s’exprimer. Pour garder l’esprit essentiel de l’œuvre, je peux trouver une solution musicale qui préserve l’idée initiale du metteur en scène. Et si le metteur en scène exige quelque chose de difficile de la part des chanteurs, je dois être là pour défendre le chanteur ou le metteur en scène, tout dépend ! Je respecte le domaine du metteur en scène. Ce n’est pas à moi de dire si j’aime ou pas sa vision, d’autant que les bons metteurs en scène ne proposent jamais une vision sans une idée forte derrière. Je veille seulement à ce que les différents aspects de la production coexistent pleinement, quand bien même le concept de la mise en scène n’est pas à mon goût ou si je trouve les costumes étranges. Sincèrement, ce n’est pas à moi d’en juger : ce domaine, c’est le territoire de l’autre.

Je crois en l’expérimentation scénique à l’opéra.

Je crois en l’opéra comme forme d’art mais pour une réussite du genre, il faut que tous ses éléments soient en harmonie, et c’est pour cela que je défends l’expérimentation dans la mise en scène. Dans tous les cas, il faut laisser la place à une nouvelle manière de voir les choses. Mais encore, il ne faut pas penser la mise en scène comme une provocation gratuite, mais plutôt comme une « mise en pensée ». Qu’elle soit réalisée avec bon ou mauvais goût, tout dépend de la définition donnée au goût, le but étant de faire redécouvrir certaines choses. Je ne dis pas que toutes les productions modernes sont extraordinaires, mais les anciennes ne sont pas forcément des références. Le décor est une façade, ou bien une fenêtre de la mise en scène – dans le meilleur des cas, il est la clé du dialogue entre les médiums artistiques – mais le véritable contenu d’une vision scénique, c’est la direction d’acteurs, à savoir la complexité des relations humaines et l’interaction entre les personnages. Il faut chercher, encore et encore, sinon on se limite à une lecture vide de tout sens.

Rusalka à l’Opéra national de Paris

L’Opéra national de Paris est une très belle maison lyrique. Chaque fois que je viens ici, j’y vis une expérience artistique merveilleuse, avec des chanteurs exceptionnels, un orchestre de très haut niveau, et des grands metteurs en scène, comme Krzysztof Warlikowski, Guy Cassiers ou Robert Carsen. Dans Rusalka de Dvořák que je dirige en ce moment, j’ai vraiment droit à une distribution vocale de luxe ! Les chanteurs sont tous au top niveau et je me rends chaque matin aux répétitions avec un grand sourire !
C’est la première fois que je dirige Rusalka et j’adore cette œuvre. Sa dimension féerique m’a rendue très songeuse pendant les répétitions : entrer dans cette bulle de magie est une chose magnifique, mais il y existe aussi un message profond sur l’amour et le pardon. Bien que je sois très engagée dans la musique contemporaine, je mesure à quel point cet univers de rêve et de féerie nourrit également l’âme ; la beauté fait pleurer et nous devons protéger, à tout prix, cette expérience de l’enchantement dans notre monde. »

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