Philippe Ivernel s’est éteint le 1er juillet dernier à l’âge de 82 ans.
Avec lui la Belgique, la France, l’Allemagne, le théâtre et la réflexion critique perdent un grand chercheur et un grand pédagogue.
Maître de conférences à l’université Paris VIII, chercheur au CNRS dont il a irrigué de sa pensée les fameux volumes des Voies de la Création Théâtrale, il a enseigné de 1969 à 1998 au CET de Louvain la Neuve où il a marqué de son humanité et de son érudition de nombreuses promotions d’étudiants, ceux qui aujourd’hui maillent de leurs personnalités diverses les paysages théâtral et universitaire belges.
Traducteur de Frank Wedekind, de Brecht, de Walter Benjamin, Peter Weiss, Hannah Harendt, Fassbinder, Harald Müller et beaucoup d’autres, Philippe Ivernel aura été un infatigable passeur des avant-gardes germaniques. Essayiste, on lui doit des études sur l’agit-prop et le théâtre d’intervention. Là se situait son engagement politique, dans le regard critique affectueux qu’il posait sur ces aventures théâtrales pas toujours artistiquement très exigeantes, mais porteuses d’un désintéressement, d’une générosité et d’une sincérité au-dessus de tout soupçon.
Il était comme cela Philippe Ivernel, surpris d’être encore sollicité et de continuer à vivre confortablement au-delà de sa retraite universitaire, humble, convivial, rieur, émerveillé de la vie qui se prolonge, malgré tout.
La dernière fois que je l’ai vu et que j’ai partagé un micro avec lui, c’était au Théâtre de la Vie en 2003, à l’initiative d’Herbert Rolland, notre ami commun. Alternatives théâtrales s’était fait en 2004, dans son n°81, l’écho de ce beau colloque. Autour de Brecht, étaient réunis là trois très chers disparus : René Hainaux, interprète des « Dialogues d’exilés » dont précisément rendait compte Philippe Ivernel, et Herbert Rolland, son metteur en scène. Dans une autre contribution, confiant dans l’usage que le XXIe siècle saurait faire à son tour de l’héritage de Brecht, Philippe Ivernel pariait sur l’accident comme ressort dramaturgique et, comme son ami Badiou, sur l’avenir de la comédie.
Philippe Ivernel aura été pour Alternatives théâtrales un compagnon de route inestimable, esprit libre, paradoxal, toujours inattendu. A sa famille et à ses amis nous adressons nos plus chaleureuses condoléances.
Yannic Mancel
Philippe Ivernel n’était pas de ceux qui transforment le métier d’enseignant en jeu de pouvoir. Au Centre d’Etudes théâtrales de Louvain-la-neuve, dans les années 90, je me souviens d’un homme bon, doux, curieux des étudiants, au point de les laisser parler plus que lui de sujets dont il était pourtant l’expert. C’était un passeur. Il nous faisait découvrir « l’agit-prop ». Il réhabilitait dans le détail Meyerhold, biffé par des années de stalinisme, comme une évidence de l’histoire du théâtre. Philippe Ivernel habitait une culture à la fois mémoriale et tournée vers l’avenir, comme en témoignent ses notices dans le Dictionnaire encyclopédique du théâtre de Michel Corvin, que je découvrais après ses cours. Je me souviens de son approche par petites touches du verfremdungseffekt de Brecht, « effet de distanciation », qu’en fin traducteur de l’allemand, il rectifiait par « effet d’étrangéisation ». Rendre insolite le familier, rendre familier l’étranger : tel était finalement le message de cet enseignant pour qui le théâtre ne se concevait pas sans une vision de découvreur et de citoyen.
Cédric Juliens
Philippe Ivernel a publié des textes dans nos colonnes au sein des numéros 27, 57, 67-68, 69, 75, 81, 83, ainsi que dans notre numéro hors-série consacré au Groupov.