À l’occasion de la reprise de « Ça ira (1) Fin de Louis », au Centquatre-Paris du 16 au 20/07/18 (Festival Paris l’été) et de la sortie du film documentaire de Blandine Armand, « Joël Pommerat – Le théâtre comme absolu » (diffusion sur ARTE le 15 juillet 2018 à 23h50), nous vous proposons de lire ou relire cet extrait d’un Verbatim de répétitions publié dans le # 130 d’Alternatives théâtrales, « Ancrage dans le réel / Théâtre National (2004-2017)».
Les propos et les images qui suivent sont issus d’instants de répétitions sur la création de la troisième partie de Ça ira (1), Fin de Louis en octobre 2015 au Théâtre des Amandiers à Nanterre. Ce sont des fragments d’une trame de travail qui s’est déroulée sur plusieurs jours.
Les verbatims sont extraits des paroles de Joël Pommerat, qui, avec les photos, constituent un travail de repérage en vue de la préparation du film documentaire sur Joël Pommerat, réalisé par Blandine Armand et produit par Arte France et Zadig Productions.
Je me souviens des premiers mots que j’ai écrits, ce que je voulais raconter, et comment, et ce qui me paraissait essentiel. Si on regarde ces notes, vous verrez le mot fatigue, le mot épuisement. Ce sont des choses physiques.
Ce n’est pas un théâtre simplement de mots, même si dans cette pièce il y a de l’argumentation avec les mots.
Ce qui est le plus dur à trouver, c’est l’état physique dans lequel sont ces gens. Et nous, notre théâtre, il se veut – avec ce terme qui ne trouve pas de remplaçant – il se veut concret, donc physique, corporel, charnel. Il se veut non pas émotionnel au sens mélodramatique ou en quête de l’émotion du spectateur, mais ancré dans le sensible.
Dans cette troisième partie, on a parlé d’abord de la violence, qui est une problématique essentielle de cette pièce, essentielle par rapport à cette situation historique. Mais la violence dans notre dramaturgie c’est une métaphore de la difficulté de faire contrat, de faire harmonie, de faire démocratie en quelque sorte. La démocratie, c’est l’idée d’un contrat entre tous et donc de la paix. Dans cette troisième partie, on est confronté plus physiquement, plus concrètement encore à cette violence et donc à l’absence de résolution des conflits par les mots, par l’échange d’idées, d’arguments.
La deuxième chose, c’est la présence du peuple dans cette troisième partie : il est présent, il est acteur, il est physiquement là. On n’est pas assez concret avec ces individus, avec ces gens. On est encore globalement dans des approximations, dans de l’image, pas dans du concret.
Où peut-on gagner ? Dans des choses simples : l’apparence déjà, l’extérieur, les signes que l’on renvoie de l’extérieur : que l’on soit moins propres, moins lisses ; dans la présence des forces vives, comment sont-elles insérées dans ce lieu ; dans la scénographie, quelles mises en place ; dans les lumières, plus on éclaire, plus on démontre que l’on est dans un espace de théâtre, alors qu’il faut qu’on amène plus de concret justement…
Ce n’est pas qu’une chose, c’est une quantité de détails.
Ça passe aussi par le fait que vous, dans la scène 11, vous puissiez dépasser les informations que le texte est chargé de fournir aux spectateurs, pour rentrer dans quelque chose qui soit vraiment de la relation, de l’action.
Il faut que l’on ressente des corps qui sont en stress, en état de souffrance même. Il y a une souffrance concrète qui passe par le corps, le physique et ça doit se sentir, se voir.
Et je crois que si on réussit notre troisième partie c’est qu’on va réussir cela.
La scène 17 était plutôt bien, plutôt mieux. Il faut tout de suite bien comprendre ce qui est bien ou mieux par rapport à ce que l’on a fait précédemment ou que l’on a pu faire. Ce n’est pas parce que c’était « fort » que c’était bien. Ce qui était bien c’est que c’était lié à quelque chose d’autre. Quelque chose qu’on a tous essayé d’investir, qui est lié à ce dont on a parlé sur la fatigue, l’usure, la peur. Vous l’avez senti ?
Souvent on revient à ces mots d’indignation, de colère, mais c’est le niveau de colère qui est important. C’est un niveau de colère qui justement est imprégné dans ce vécu, dans cette fatigue, dans cette usure, dans cette souffrance. Ce n’est pas juste du « pétage de plomb » comme ça, un peu banal. On s’en est approché de ce niveau, et il faut construire maintenant avec.
Finalement, on raconte une évolution et une trajectoire sensible et idéologique d’une grande partie de cette assemblée, qui a fait quelque chose d’absolument héroïque, mais qui, à un moment donné, se met à avoir peur, à freiner, à partir dans une direction. C’est important de comprendre que c’est ça l’histoire qu’on raconte, en tout cas dans la 17.
Ce qu’est censée raconter cette troisième partie, c’est une montée vers la violence, c’est une montée en puissance. Ce qui m’intéresse c’est de montrer comment cela se met en place, il y a un processus, une évolution qui entraîne cette situation. C’est complexe parce que ça nous ramène à des questions qui sont non « résolvables » simplement. Ça nous oblige aussi à mettre en critique nos positionnements un peu facile « je suis pour, je suis contre ». La recherche c’est justement de produire quelque chose qui va briser, casser des positionnements trop simples – que je ne critique pas en tant que tels, on est obligé d’en avoir dans la vie (des positionnements comme ça), mais dans le temps de la représentation on est soumis à une complexité qui nous ramène aux racines des questions – sans réponse, mais qui nous mettent à un endroit riche de significations humainement.
Dossier sur Joël Pommerat dans le #130 Ancrage dans le réel.
Reprise de Ça ira (1) Fin de Louis, au Centquatre-Paris du 16 au 20/07/18 (Festival Paris l’été) Film documentaire de Blandine Armand, Joël Pommerat - Le théâtre comme absolu (diffusion sur ARTE le 15 juillet 2018 à 23h50)