Comment l’occupation du Teatro Valle a-t-elle commencé ?
Le théâtre était fermé depuis trois mois. L’ETI (Ente Teatrale Italiano) dont il dépendait n’existant plus, il est devenu propriété de l’État, avec l’option d’être repris par la mairie de Rome. L’occupation devait durer juste trois jours, en signe de protestation contre l’état d’abandon de la culture en Italie, pour réagir à l’absence de mobilisation à la fin de l’ETI et pour éviter la privatisation du théâtre. Comme nous n’avions pas de réponse concrète sur son devenir, nous y sommes restés et avons continué les débats avec de plus en plus de monde impliqué. Cela se passait juste après le non au référendum de 2011 sur la privatisation de l’eau. Il y avait un mouvement très important autour de la notion de biens communs, ces biens qui appartiennent à la nature, qui ne sont ni privés ni publics, comme l’air, l’eau… la culture peut-être.
L’enjeu était de repenser entièrement le modèle des institutions publiques ?
Il s’agissait initialement d’un acte fort pour que le Teatro Valle reste une institution publique, mais en effet face au désintérêt des politiques nous avons poussé plus loin notre réflexion sur l’idée de bien commun. Et nous avons, avec plusieurs juristes et une assemblée d’artistes et de citoyens, conçu un modèle de gestion basé sur la démocratie directe. Le Teatro Valle est très vite devenu un symbole, d’autres lieux fermés ont été occupés, à Rome, Palerme, Catane, Messine… Quand, au bout de trois ans, des tractations ont commencé avec la ville, nous devenions en fait de plus en plus dérangeants et tout a été fait pour que nous partions.
Cette occupation a été marquée par une forte émulation artistique. Vous cherchiez aussi un autre système de production théâtrale ?
On s’est rapidement concentrés sur la question de la formation pour la rattacher aux réalités de production. On est parti sur le principe d’un écosystème où les deux seraient liés. C’est à partir de là qu’ont été organisés des ateliers d’écriture et de formation pour les techniciens. La Boucherie de Job est en quelque sorte un résultat à mi-chemin entre ce modèle et un plus conventionnel. Tous les techniciens ont été formés pendant l’occupation, la musique a été créée dans l’atelier mené par le compositeur Enrico Melozzi. Les acteurs étaient, eux, des professionnels avec qui je collaborais déjà ou que j’ai rencontrés sur place.
En quoi ce texte, que vous signez, est-il lié aux ateliers d’écriture ?
J’ai lancé l’atelier à partir d’un projet où je voulais aborder l’économie bien sûr, puisque nous devions prendre position face à notre présent, à notre crise financière qui est une crise culturelle majeure. Nous avons aussi travaillé sur la bible, plus précisément Le Livre de Job en liant la crise de confiance de l’homme en Dieu avec notre propre crise de confiance par rapport à notre système économique. Shakespeare enfin, à travers lequel on pouvait trouver un théâtre populaire capable de s’adresser à ce nouveau public en train de naître autour de nous. Car il y avait des gens très différents, des habitants du quartier qui n’étaient jamais entrés dans ce théâtre, des personnes qui n’étaient jamais allées au théâtre. Ils venaient voir si ce que nous faisions les intéressait, ou pas… Nous avons aussi profité d’être là pour faire une grande forme contemporaine. Les grands plateaux étant encore tous réservés chez nous aux classiques, les auteurs se restreignent à des monologues ou à des dialogues. De cet atelier, composé de dix acteurs et de dix auteurs, sont nés plusieurs textes, dont celui-ci.
C’est un mode d’expérimentation peu habituel dans l’écriture, qui aboutit généralement à des créations collectives. En quoi s’inscrit-elle dans une recherche au plateau ?
L’idée est de donner aux auteurs dramatiques la possibilité de travailler par étapes, dans l’espace théâtral. Nous travaillons seuls le matin, l’après-midi l’atelier est ouvert. Les scènes sont, dès les premières lectures, dans les mains d’acteurs face à du public.
Qu’en est-il désormais pour vous depuis la fermeture du lieu ? Vous êtes-vous regroupés en collectifs ?
Les occupants sont encore en deuil. Ce qui nous rassemblait était le maintien du théâtre en activité. Des relations, des petits groupes sont nés, des textes ont été créés. Deux ateliers d’écriture continuent, dont le mien. Par rapport à la lutte politique, nous avons perdu la bataille. En ce qui concerne la création artistique, on verra…
Ce spectacle a été crée pour et dans le Teatro Valle Occupato. Comment ressentez-vous le fait de le reprendre aujourd’hui, ailleurs ?
C’est très émouvant car je ne sais pas si nous sommes au début ou à la fin, si nous commençons un parcours ou s’il s’agit d’un long enterrement. Nous ne sommes plus le Teatro Valle Occupato, il n’existe plus. Qui sommes-nous ?
La Boucherie de Job, écrit et mis en scène par Fausto Paravidino avec Emmanuele Aita, Ippolita Baldini, Federico Brugnone, Filippo Dini, Iris Fusetti, Aram Kian, Fausto Paravidino, Barbara Ronchi, Monica Samassa du 15 janvier au 23 janvier 2016 à La Commune, centre dramatique national d’Aubervilliers le 26 janvier 2016 au Théâtre Liberté à Toulon
Production Teatro Valle Occupato, Fondazione Teatro Valle Bene Comune distribution à l’étranger Studio Grompone avec l’aimable collaboration du Teatro Due de Parma avec le soutien de Angelo Mai, des artistes de Altresistenze13-14, Ex Lavanderia, Nuovo Cinema Palazzo, Scup un remerciement spécial à l’European Cultural Foundation (ECF). Cette production a été rendue possible grâce à la large participation et au soutien des occupants et des membres associés fondateurs qui ont permis durant ces trois années d’expérimentation de nouvelles pratiques et politiques artistiques. L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté (traduction française de Pietro Pizzuti disponible).
Le numéro 128 d'Alternatives théâtrales (à paraître en avril 2016) sera consacré aux nouvelles alternatives théâtrales.